Contre le virus Ebola, qui ravage plusieurs pays d’Afrique et tient en échec depuis 40 ans les chercheurs du monde entier, certains, sans laboratoire ni essais cliniques ont trouvé la solution dans leur cuisine ou leur garage. Ils expédient en ce moment des kilos de chlorure de magnésium aux populations locales.
La chose est rapportée avec enthousiasme par l’écrivain et journaliste Pierre Lance dans la lettre d’information de Santé Nature Innovation. Il y évoque « les puissants effets [du chlorure de magnésium] pour lutter contre la fièvre hémorragique causée par le virus Ebola. »
A l’origine de cette initiative, on trouve Marie-France Billi, une ancienne conseillère municipale communiste de la ville de Nice, qui s’était fait connaître en faisant par fax la promotion du chlorure de magnésium au plus fort de l’épidémie de chikungunya à La Réunion, en 2006.
« En 12 heures, écrivait-elle dans son fax, voire moins, on guérit de toutes les maladies virales, n’importe laquelle en fait car l’action du chlorure de magnésium est d’agir sur le système immunitaire, en augmentant de manière très importante le nombre de globules blancs macrophages. »
En 2010, elle mène une nouvelle opération « chlorure de magnésium », cette fois aux Antilles, une région alors confrontée à une épidémie de dengue.
Un sel de magnésium magique ?
Mais qu'est-ce que le chlorure de magnésium ? C'est l’un des nombreux sels du magnésium. Il est présent naturellement dans l’eau de mer. Il peut, comme les autres sels de magnésium, corriger des déficits nutritionnels. Il est assez bien toléré. A dose élevée, malgré tout, le chlorure de magnésium a l’inconvénient d’entraîner des diarrhées (ce qui n’est pas le cas d’autres sels de magnésium), et comme beaucoup de sels minéraux, il doit être consommé modérément dans les insuffisances rénales.
Mais voilà, de tous les sels de magnésium (oxyde, carbonate, sulfate, gluconate, citrate, lactate, pidolate, acétate, glycérophosphate etc…) , le chlorure de magnésium est nimbé d’une aura très particulière. Ce serait un remède épatant contre, je cite Pierre Lance : « les crampes, les ongles cassants, le blanchiment prématuré des cheveux, les calculs biliaires, l'eczéma, la perte de calcium osseux, la fatigue intellectuelle, le stress, les problèmes de prostate, les verrues, l’hypertension, les dépôts athéromateux dans les artères, la gingivite expulsive, le vieillissement. » Ajoutez à cela la lutte contre les infections bactériennes et virales et même le cancer !
Pour enrayer l’épidémie d’Ebola, il suffirait donc d’acheminer des sacs de chlorure de magnésium en Afrique, comme naguère Bernard Kouchner le fit de sacs de riz.
« En nous y mettant tous ensemble, assure Pierre Lance, je pense que nous pouvons faire bien plus, contre cette épidémie, que toutes les armées, que tous les grands médias qui sèment la panique (…), et même que l'Organisation Mondiale de la Santé manifestement influencée par le lobby pharmaceutique. »
Tout cela est exaltant, mais il y a un petit problème. Lorsque je demande à voir les preuves scientifiques qu’une supplémentation massive des populations africaines en chlorure de magnésium les débarrassera d’Ebola, les choses se compliquent.
Les preuves
On me cite bien sûr les travaux du Professeur Pierre Delbet (1861-1957), « qui découvrit durant la Première Guerre mondiale les vertus thérapeutiques du chlorure de magnésium et qui démontra son efficacité, notamment contre le cancer. »
Delbet a rapporté en effet avoir utilisé avec succès le chlorure de magnésium comme antiseptique pour laver les plaies des blessés, ainsi que par voie orale. Et il relate des résultats in vitro sur l’activité des globules blancs. Mais il n’a mené aucune étude contrôlée.
On me cite aussi les « travaux » d’un autre médecin, le Dr Auguste Neveu (1885-1960), adepte des théories de Pierre Delbet. Il a rapporté avoir soigné avec succès bétail et patients avec du chlorure de magnésium. Là encore, pas d’étude contrôlée.
Est versée aussi au dossier la saga réunionnaise du chlorure de magnésium. Elle est relatée ainsi par Pierre Lance : « [Marie-France Billi] expédia à la Réunion des dizaines de télécopies conseillant son utilisation contre cette maladie, que les médecins impuissants regardaient progresser les bras ballants. Et elle reçut quelques jours plus tard des dizaines d’appels et de messages de remerciement de Réunionnais guéris grâce à elle. Aussi continua-t-elle ses envois. La nouvelle du remède-miracle se répandit dans l’île et tous les pharmaciens furent bientôt en manque de chlorure de magnésium. Le corps médical, pour sa part, continua de traiter par le mépris l’emploi de ce magnésium. (…) Si les journaux télévisés signalèrent bien, fin mars 2006, que l’épidémie semblait stoppée, aucun ne dit le moindre mot de la campagne d’information de Marie Billi ni des effets bénéfiques du chlorure de magnésium. »
Mais quel journal peut-il sans se déconsidérer saluer la « campagne » de Madame Billi et les « effets bénéfiques du chlorure de magnésium » alors que, faute de données épidémiologiques même partielles, aucun lien objectif ne peut être établi entre ce chlorure de magnésium et la fin de l’épidémie de chikungunya à La Réunion ?
Le propre des épidémies virales de ce type, c’est de se développer, flamber avant d’entrer en latence sous l’influence des mesures de précaution classiques (insecticides, démoustication, port de vêtements longs, moustiquaires) ou de facteurs environnementaux encore mal connus. Pour reprendre l’exemple du chikungunya, la maladie venue du sud, a touché le Gabon en 2007 où elle a contaminé plus de 21000 personnes, avant de s’éteindre comme elle était venue, puis de réapparaître à la fin de l’année 2012. On n’a signalé pourtant à Libreville ni avalanche de fax, ni pharmacies dévalisées de leur chlorure de magnésium.
L’éditeur de la lettre m’a enfin adressé 3 études à l’appui d’un soi-disant effet antiviral du chlorure de magnésium.
- La première (1), qui est une étude expérimentale de 1971, suggère un rôle éventuel pour le chlorure de magnésium dans une étape de réplication d'un certain type de virus.
- Dans la deuxième étude (2), publiée en 1963, le chlorure de magnésium a été utilisé comme stabilisant/conservateur pour un essai de vaccin contre la polio (il entre d'ailleurs dans la composition de plusieurs d’entre eux).
- La troisième étude (3), de 1967, laisse penser que le chlorure de magnésium augmente au contraire le potentiel infectieux de certains virus !
Et il n'y a rien d'autre.
Bon. Peut-être un peu court pour proposer le chlorure de magnésium comme remède anti-Ebola, et brocarder les Américains « avec leurs hélicoptères, leurs mitraillettes, leurs treillis et leurs webcams sur le casque, à arpenter la savane africaine ».
Selon Pierre Lance, l’indigence de la recherche anti-infectieuse sur le chlorure de magnésium s’expliquerait par l’absence de perspectives financières pour les laboratoires, voire les pressions du « complexe pharmaco-industriel ».
Je veux bien, mais alors comment expliquer qu'on ait conduit des milliers d'études sur tant d’autres substances naturelles non-brevetables ? Sur le sulfate de magnésium dans les maladies cardiaques. Sur la N-acétyl-cystéine et son potentiel anti-toxique, en particulier dans la protection du rein. Sur la vitamine C, le sélénium dans le cancer. Toujours sur la vitamine C dans le rhume. Sur la vitamine B1 dans l’encéphalopathie de Wernicke-Korsakoff. Sur le calcium dans les fractures d’ostéoporose. Sur la vitamine B9 dans la prévention des malformations foetales. Sur la choline dans le traitement d’Alzheimer. Sur l’acide alpha-lipoïque dans le diabète. Sur la vitamine E dans la prévention des infarctus ou le traitement d'Alzheimer, etc., etc…
Il y a une raison plus vraisemblable. Au-delà des effets connus du magnésium, quel qu’en soit le sel, sur les fonctions physiologiques, au-delà de la nécessité de compenser des déficits en un micronutriment essentiel pour restaurer des fonctions normales, les suppléments de chlorure de magnésium ne jouent probablement qu’un rôle mineur dans la lutte contre les pandémies virales.
Soyons clairs : il est certainement indispensable de corriger les déficits nutritionnels des populations des pays touchés par Ebola. Et pas seulement en magnésium. En vitamines - notamment vitamine A, en minéraux - notamment zinc, en oligo-éléments - notamment sélénium. Ces corrections ne seront pas suffisantes pour arrêter Ebola, mais elles peuvent avoir un impact sur l’immunité.
Et pour corriger ces déficits, permettez-moi de faire plus confiance aux vilains « Américains avec leurs hélicoptères » - et aussi leurs compléments alimentaires - qu’en la distribution au petit bonheur de kilos de chlorure de magnésium dans la savane africaine.
N.B. Il y a une suite ici à cette passionnante saga !
Références
(1) Hall L, Rueckert RR. Infection of mouse fibroblasts by cardioviruses: premature uncoating and its prevention by elevated pH and magnesium chloride. Virology. 1971 Jan;43(1):152-65.
(2) Ozaki Y. Reaction of polyovirus and formaldehyde in magnesium chloride solution to enhance potency of killed virus vaccine. J Immunol. 1963 Mar;90:429-37.
(3) Dobrocká E, Mayer V. Enhancement of tick-borne encephalitis virus plaques in the presence of magnesium chloride. Acta Virol. 1967 Nov;11(6):557-8.