Connue depuis les années 1980, mais méconnue du grand public et même de certains professionnels, l’hyperhydratation est potentiellement bien plus dangereuse que la déshydratation. Et pourtant quel sportif n’a pas été averti des dangers de la déshydratation ?
En fait, c’est l’hyponatrémie (baisse du taux de sodium sanguin) à l’effort conséquence de l’hyperhydratation qui est dangereuse car elle va rompre un équilibre entre milieu extracellulaire et milieu intracellulaire. Les scientifiques parlent d’hyponatrémie d’effort (en anglais, exercise-associated hyponatremia ou EAH).
Il s’agit d’une pathologie fréquente puisque, selon les études (1, 3, 4), jusqu’à 30% des athlètes participant à une compétition d’endurance (marathon ou plus) seraient en hyponatrémie à la fin de l’épreuve. Il faut savoir que la fréquence de cette pathologie augmente (surtout aux États-Unis), probablement en rapport avec la « démocratisation » des épreuves longues (type marathon et ultra) et la participation de sportifs moins avertis.
Qu'est-ce que l'hyponatrémie ?
Pour comprendre le mécanisme de cette pathologie, il faut savoir que la quantité d’eau dans notre organisme est régulée de façon très précise mais légèrement retardée. Au repos, tout excès d’eau provoquera une baisse légère de la natrémie qui freinera rapidement la sécrétion de l’ADH (hormone anti-diurétique) et entraînera l’élimination d’eau sous forme d’urine. Alors qu’en cas de manque la sensation de soif apparaîtra.
Il faut savoir que le sodium joue un rôle fondamental dans la régulation et la répartition de l’eau dans l’organisme. Notamment afin d’établir un équilibre entre la concentration des liquides extracellulaires et intracellulaires. Si le liquide extracellulaire est trop concentré, les cellules vont « donner » un peu de leur liquide afin de rétablir l’équilibre. Si le liquide extracellulaire est trop peu concentré (comme en cas d’hyponatrémie), les cellules vont absorber de l’eau afin de rétablir l’équilibre et il y aura « gonflement » des cellules, c'est-à-dire œdème cellulaire. C’est l’œdème cellulaire au niveau du cerveau qui rend l’hyperhydratation et l’hyponatrémie dangereuses et potentiellement mortelles.
Plusieurs mécanismes sont impliqués mais les multiples études réalisées montrent que le mécanisme le plus important reste le fait de boire beaucoup, plus que nécessaire. Plusieurs auteurs incriminent les recommandations excessives pour prévenir la déshydratation. En effet, de nombreux sportifs boivent consciencieusement et abondamment à tous les ravitaillements lors des épreuves sportives au point de dépasser largement leurs pertes sudorales. Les boissons incriminées sont bien sûr les boissons pauvres en sodium (eau pure, boissons au cola, jus de fruits…) mais aussi les boissons de l’effort (même isotoniques !). En effet, ces boissons de l’effort contiennent du sodium mais cinq à six fois moins que le sang. Attention, aussi, aux excès de boisson la veille d‘une compétition qui peuvent amener aux mêmes résultats.
Plusieurs autres mécanismes participent à l’apparition de cette hyponatrémie du sportif :
- Pertes de sodium par transpiration lors de l’effort.
- Détournement du flux sanguin au profit des muscles et au détriment des reins (- 30 à - 50%) avec pour conséquence une baisse des capacités rénales à a éliminer l’eau excédentaire.
- Inadaptation hormonale qui limite les capacités rénales à éliminer l’eau excessive lors d’effort. Cette inadaptation hormonale est le maintien d’une sécrétion d’ADH trop importante (plus importante que ne le voudrait la natrémie) lors d’un effort ce qui limite l’élimination de l’eau excédentaire. Cette anomalie pourrait apparaître dès qu’un effort dépasse environ 60% de la VO2max, en cas de chaleur, de douleur ou de dégâts musculaires engendrés pas les traumatismes de l’activité sportive.
Quels sont les sportifs à risque d’hyponatrémie ?
L’hyponatrémie du sportif concerne les adeptes des épreuves d’endurance, en particulier des marathons et des épreuves plus longues (ultras, trails, triathlons, ironman…). Cette pathologie ne concerne pas les sportifs de force ou de vitesse dont les efforts sont trop brefs (4, 5, 6).
Plusieurs facteurs de risque sont décrits :
- Les compétitions d’endurance (effort de plus de 4 heures).
- Les sportifs lents prenant le temps de s’arrêter et de boire à tous les ravitaillements.
- Les sportifs peu expérimentés, l’entraînement permettant de « mieux » transpirer et de diminuer les pertes en sodium par la transpiration.
- Les sportifs de petit poids car il une même quantité de boisson dilue leur sang plus rapidement.
- Les femmes car leur poids est en moyenne plus bas et car elles seraient plus consciencieuses.
- Les athlètes buvant plus de 1.5 l d’eau par heure.
- Les athlètes utilisant certains médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens (aspirine, ibuprofène)).
- Les conditions environnementales chaudes (et encore plus en cas d’humidité importante).
- Les courses où les ravitaillements sont fréquents et abondants (par exemple tous les kilomètres).
Quand penser à l’hyponatrémie ?
Une hyponatrémie se manifeste par des signes variés (et parfois retardés en raison du délai entre l’ingestion et l’absorption des liquides) mais peut être asymptomatique. On peut constater des céphalées, des troubles du comportement, une désorientation, des vertiges, une confusion, une fatigue… En cas d’hyponatrémie sévère, il peut y avoir coma puis décès.
Une prise de poids lors d’une compétition peut amener à suspecter une hyponatrémie. En effet, une étude montre que les athlètes ayant pris 4% de poids lors d’une course ont 45% de risque d’être en hyponatrémie (5).
En pratique : comment s'hydrater lors d’une compétition ?
- Boire à sa soif, ni trop ni trop peu. Attention aux recommandations qui incitent à boire en excès.
- Ne pas boire obligatoirement à tous les ravitaillements surtout si les ravitaillements sont trop rapprochés.
- S’adapter aux conditions environnementales. Les quantités de boissons conseillées sont entre 400 et 800 ml par heure.
- Si possible connaître son taux de transpiration horaire approximatif pour pouvoir adapter les quantités à boire du mieux possible. Pour se faire, il est possible de peser avant et après un entraînement (et en retirant les quantités de boissons absorbées lors de l’entraînement).
- Préférer une boisson isotonique contenant de 0,5 à 0,7 g de sodium par litre de boisson (même si cela ne suffit pas à éliminer le risque d‘hyperhydratation et que boire trop de boisson isotonique pourrait quand même conduire à l’hyponatrémie). Mais ces boissons apportent tout de même du sodium qui pourrait limiter le risque.
- Éviter les pastilles de sels qui ne sont pas absorbées facilement et risque de créer des troubles digestifs, des vomissements car elles sont trop concentrées en sodium.
Un sportif d’endurance ne doit pas prendre de poids lors d’une course. D’ailleurs les meilleurs mondiaux perdent souvent plusieurs kilogrammes lors d’une course sans altérer leurs performances.
Une légère déshydratation n’est pas néfaste pour les performances !
Références
(1) Almond CS, Shin AY, Fortescue EB, Mannix RC, Wypij D, Binstadt BA, Duncan CN, Olson DP, Salerno AE, Newburger JW, Greenes DS: Hyponatremia among runners in the Boston Marathon. N Engl J Med; 352 :1550– 1556,2005
(2) Kipps C, Sharma S, Pedoe DT.. The incidence of exercise-associated hyponatraemia in the London marathon. Br J Sports Med. 2011 Jan;45(1):14-9
(3) Hoffman MD, Stuempfle KJ, Rogers IR, Weschler LB, Hew-Butler T. Hyponatremia in the 2009 161-km Western States Endurance Run. Int J Sports Physiol Perform. 2012 Mar;7(1):6-10.
(4) Chorley J, Cianca J, Divine J. Risk factors for exercise-associated hyponatremia in non-elite marathon runners. Clin J Sport Med. 2007 Nov;17(6):471-7.
(5) Noakes TD, Sharwood K, Speedy D, Hew T, Reid S, Dugas J, Almond C, Wharam P, Weschler L: Three independent biological mechanisms cause exercise-associated hyponatremia: Evidence from 2,135 weighed competitive athletic performances. Proc Natl Acad Sci U S A102 :18550– 18555,2005
(6) Rosner MH, Kirven J. Exercise-associated hyponatremia. Clin J Am Soc Nephrol. 2007 Jan;2(1):151-61.