Thierry Souccar Editions : Que ressent-on quand on est confronté au Haka des All Blacks ?
Dimitri Yachvili : La première fois, c’est toujours impressionnant, parce qu’on a vu ça à la télé, et là on se retrouve face à quelque chose qui relève du mythe. Lorsqu’on les a joués plusieurs fois, on réalise que ce n’est pas simplement une manière de se préparer au combat qui va suivre, mais bien un rite initiatique : ces joueurs sont dans un état modifié de conscience.
Il y a d’autres rites. Par exemple, dans le livre, on apprend qu’en plus du maillot, chaque joueur reçoit un carnet avec l’histoire de l’équipe, et la mission de la poursuivre.
Je ne le savais pas, mais il est vrai que tous les joueurs qui portent ce maillot ont forcément une culture et une connaissance profonde de l’histoire de leur équipe et de leur maillot. Ils sont là pour l’honorer.
Pour l’auteur du livre, James Kerr, une partie du succès des Néo-Zélandais repose sur ces rites. A-t-on ce genre de choses dans l’équipe de France ?
En France, on n’a pas ça, ce n’est pas trop ce qui est recherché, il n’y a pas de rituel à proprement parler. Mais on s’en approche indirectement par exemple dans le vestiaire quand on se tient en cercle, et qu’on sent toute l’équipe soudée.
Faudrait-il s’inspirer de ces rituels des All Blacks ?
On ne peut pas vraiment copier leur culture, car elle est fortement imprégnée de la culture Maori. Elle repose sur le respect des ancêtres. Dans le Haka, par exemple, le capitaine se tient en pointe, mais juste derrière lui on trouve les joueurs les plus anciens.
Une scène est rapportée dans le livre, celle où les stars de l’équipe, après le repas, se lèvent et prennent le balai, débarrassent la table, font les tâches ménagères.
Ça, c’est vraiment la qualité première des All Blacks : l’humilité. Qu’ils aient 80 sélections ou deux, on sent que les joueurs sont placés au même niveau. C’est très important parce que ça permet d’intégrer au mieux les nouveaux joueurs.
On apprend aussi en lisant ce livre, que des joueurs avec des qualités physiques et techniques exceptionnelles ont été sélectionnés, mais ensuite renvoyés chez eux parce qu’ils prenaient la grosse tête. Qu’en pensez-vous ?
Pour être All Blacks, il faut remplir tous les critères : être bon joueur, mais aussi bon sur l’état d’esprit. Ceux qui ne cochent pas toutes les cases ne restent pas. On retrouve cette exigence dans d’autres équipes internationales, mais c’est peut-être encore plus prononcé chez eux.
Au-delà de l’état d’esprit, des rituels, de l’humilité, qu’est-ce qui explique la domination époustouflante de cette équipe ?
Le rugby fait partie de leur éducation, on y joue tous les jours, et ça commence dans la cour de l’école, avec des éducateurs. 3 % de la population pratique ce sport, contre 0,6 % en France.
Est-ce qu’on se prépare de la même manière à affronter les All Blacks que les Sud-Africains ou les Anglais ?
Ce sont les meilleurs joueurs du monde. Quand vous jouez l’Afrique du Sud, vous savez qu’il va falloir répondre présent au niveau du combat, du défi physique. Mais avec les All Blacks, vous savez qu’il faudra être bons partout. C’est un sacré casse-tête pour une équipe, quelle qu’elle soit. Et cela crée un peu plus d’anxiété.
Vous intervenez parfois dans l’entreprise. Pensez-vous que le rugby puisse être une source d’inspiration pour les managers ?
Oui. Je ne connais pas assez l’entreprise pour proposer une transposition directe des valeurs du rugby aux pratiques de management, mais quand j’interviens, je raconte mon expérience de joueur, et les managers font eux-mêmes le lien entre ce qu’ils entendent et leur univers.