Alzheimer : ce qui se passe réellement dans le cerveau

Alzheimer : ce qui se passe réellement dans le cerveau

Depuis près de 30 ans, mes collègues de laboratoire et moi-même n’avons eu de cesse d’explorer ce qu’est réellement la maladie d’Alzheimer et c’est ce que je vous propose de découvrir ici : comment comprendre cette maladie, pourquoi est-elle si répandue, et surtout, comment la prévenir et inverser le déclin cognitif tout en favorisant le processus d’amélioration, comme nous l’avons fait pour des centaines de patients. 

Voici comment tout cela fonctionne : de très nombreuses théories sur la maladie d’Alzheimer ont été développées et divers coupables désignés, qu’il s’agisse des radicaux libres, du calcium, de l’aluminium, du mercure, de l’amyloïde, du tau, des prions (protéines de réplication), du diabète du cerveau (« diabète de type 3 »), des dommages membranaires ou de ceux infligés aux mitochondries (les centrales énergétiques des cellules) ou encore du vieillissement du cerveau, et ainsi de suite… Néanmoins, aucune théorie unique n’a permis de mettre au point un traitement efficace, et ce, en dépit des milliards de dollars dépensés en essais cliniques et autre développement de médicaments.
 

Ce que nous avons trouvé

Nos découvertes, en revanche, permettent de lever le voile sur la façon dont nous pouvons prévenir et traiter la maladie d’Alzheimer. En effet, on trouve au cœur de la maladie d’Alzheimer un « commutateur » appelé protéine précurseur de l’amyloïde ou APP, qui dépasse de nos neurones. 
L’APP répond de deux manières opposées, en fonction de son environnement. Imaginez que vous êtes président de ce pays, du nom de Cerveaukistan. Quand tout va bien, que les caisses sont pleines, qu’aucune guerre ne fait rage, que l’inflation est maîtrisée et qu’aucun problème de pollution majeur n’est à régler, vous décidez que c’est le bon moment pour bâtir et entretenir l’infrastructure de votre pays. Alors, vous transmettez vos ordres en conséquence et de nouveaux bâtiments sont construits, de nouvelles interactions se produisent et le réseau de votre pays s’étend. C’est ce qui se passe dans votre cerveau, à tout instant, lorsque vos taux de nutriments, d’hormones et de facteurs de croissance sont à un niveau optimal (les caisses sont pleines), qu’aucun pathogène ni inflammation associée ne sont présents (aucune guerre en cours), que vous ne présentez pas de résistance à l’insuline (inflation maîtrisée) et que vous n’êtes soumis à aucune exposition importante à des toxiques (absence de pollution importante).
 
Dans ces conditions, votre APP envoie un signal de croissance, qui entraîne son clivage en deux fragments appelés « peptides » sous l’action de ciseaux moléculaires (des protéases), en un point particulier du nom de « site alpha ». Le duo obtenu dont la vocation est la croissance et l’entretien se compose de sAPPα (qui signifie fragment soluble de l’APP clivée au site alpha) et de CTFα (fragment carboxyterminal, c’est-à-dire l’extrémité arrière de la protéine APP clivée au site alpha). Ce processus aboutit à des signaux synaptoblastiques (du mot grec qui signifie « germer » ou « produire ») qui se chargent de produire, dans votre cerveau, des synapses (connexions) qui sont nécessaires aux souvenirs et aux performances cognitives en général.
 
Imaginez maintenant que lors de votre deuxième mandat à la tête de l’État du Cerveaukistan, les choses changent. Les caisses se sont vidées, et vous ne pouvez donc plus bâtir et réparer les infrastructures ; des envahisseurs franchissent vos frontières et pour empêcher l’ennemi d’avancer et le terrasser, vous l’arrosez de napalm. Pendant les années de prospérité, l’inflation a grimpé, aussi il faut plus d’argent pour financer la croissance et les infrastructures vétustes sont à l’origine d’une grave pollution. C’est ce qui se passe dans votre cerveau lorsque vous êtes atteint de la maladie d’Alzheimer ou au cours des années où le déclin cognitif s’installe pour aboutir à la maladie d’Alzheimer.
 
En effet, un déficit en nutriments, hormones et facteurs trophiques exige une « réduction des effectifs » ; les microbes et les fragments inflammatoires sont combattus par l’amyloïde que nous associons à la maladie d’Alzheimer, ce qui est très comparable au napalm. La résistance à l’insuline signifie que l’insuline sécrétée n’est tout simplement pas aussi efficace pour maintenir en vie les neurones (l’insuline est une molécule qui agit normalement comme un stimulus puissant de la synthèse des cellules cérébrales, et d’ailleurs, lorsque vous faites pousser des neurones en laboratoire, l’insuline est indispensable à leur santé et à leur vitalité). Quant aux toxiques tels que le mercure, ils sont agrégés par l’amyloïde.
 
Afin de répondre à ces différents agresseurs, l’APP est clivé à différents endroits, non pas au site alpha, ce qui se produit quand tout va bien, mais plutôt au niveau de trois sites : bêta, gamma et capase. Ce clivage produit quatre fragments : sAPPβ (fragment soluble de l’APP bêta), Aβ (le peptide bêta-amyloïde que nous associons à la maladie d’Alzheimer), Jcasp (le morceau qui est coupé au site caspase, qui se trouve près de l’extrémité de la protéine), et C31 (les 31 derniers acides aminés de la protéine). Comme vous pouvez l’imaginer, ces quatre fragments – que j’appelle « les quatre cavaliers », par analogie avec les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse du Nouveau Testament – envoient un signal de « réduction des effectifs » plutôt que de croissance. C’est ce que l’on appelle la signalisation synaptoclastique (du grec klastos qui signifie « brisé »), qui consiste à éliminer des synapses. 
 

La génétique entre en scène

Revenons maintenant au Cerveaukistan. Imaginez que vous venez d’être réélu président pour un troisième mandat (oui, on peut faire trois mandats au Cerveaukistan !). Le pays a été divisé en deux états – le Cerveaukistan du Nord et le Cerveaukistan du Sud – et vous ne pourrez assurer la présidence que de l’un d’entre eux. Lequel choisirez-vous ? Le Cerveaukistan du Nord est une nation belliqueuse qui a décidé de consacrer ses ressources à la défense (et à l’attaque), tandis que le Cerveaukistan du Sud consacre ses ressources à la recherche et au développement. Chacun d’entre eux présente donc des avantages et des inconvénients spécifiques.
C’est ainsi que votre génétique influence le risque de maladie d’Alzheimer : bien que ce risque implique une douzaine de gènes, le risque génétique le plus courant est lié à un gène unique vraiment remarquable du nom d’ApoE (abréviation d’alipoprotéine E). Vous possédez deux copies de ce gène (l’une transmise par votre mère et l’autre par votre père) et trois configurations sont possibles : vous êtes porteur de deux copies de la version à haut risque de l’ApoE (appelé ApoE4), d’une seule copie ou de zéro copie. Près des trois quarts de la population américaine, soit presque 240 millions de personnes, ne possèdent aucune copie (la majorité d’entre nous est « ApoE3/3 », ce qui signifie que nous possédons deux copies de l’ApoE3 et zéro copie de l’ApoE4) et le risque de développer la maladie d’Alzheimer sur notre vie entière est d’environ 9 %. Cependant, environ un quart des Américains, soit plus de 75 millions d’individus, possèdent une copie de l’ApoE4, à laquelle est associé un risque de 30 % de développer la maladie au cours de la vie.
 
Enfin, un petit pourcentage de la population américaine, soit seulement 2 % environ, ou un peu moins de 7 millions de personnes sont porteuses de deux copies de l’ApoE4 et présentent un risque très élevé – plus de 50 % – de présenter la maladie au cours de leur vie. La probabilité qu’elles en souffrent est donc supérieure à celle qu’elles en soient épargnées.
Si vous êtes porteur de l’ApoE4, vous êtes à la tête du Cerveaukistan du Nord et avez mis vos ressources dans la défense. Vous êtes donc dans une optique de résistance aux envahisseurs. Ceux d’entre nous qui sont porteurs de l’ApoE4 résistent aux parasites et autres infections, et sont donc favorisés dans des conditions difficiles.
Si vous n’êtes pas porteur de l’ApoE4, vous présidez le Cerveaukistan du Sud et consacrez vos ressources à la recherche et au développement (c’est-à-dire moins d’inflammation, un métabolisme plus efficient, et une longévité accrue). Les individus qui ne sont pas porteurs de l’ApoE4 sont davantage soumis à l’invasion de prédateurs comme les parasites, mais s’ils parviennent à les éviter, grâce au niveau d’inflammation plus faible, leur risque de développer la maladie d’Alzheimer et une maladie cardiovasculaire sera plus faible et leur durée de vie moyenne plus longue de quelques années.
 
Il apparaît donc clair que ce que nous appelons la maladie d’Alzheimer est en fait une réaction de protection contre divers agresseurs : microbes et autres agents pro-inflammatoires, résistance à l’insuline, toxiques et perte de soutien des nutriments, hormones, et facteurs de croissance. Il s’agit d’un programme protecteur de réduction des effectifs. En d’autres termes, la maladie d’Alzheimer est un cerveau qui bat en retraite en pratiquant la politique de la terre brûlée et s’inflige ses propres effets collatéraux en se retirant de la sorte. Il est possible de prévenir ou d’inverser son déclin cognitif en corrigeant les facteurs à l’origine de ce déséquilibre entre signalisation synaptoblastique et signalisation synaptoclastique.
 
>> Découvrez comment dans La fin d’Alzheimer – Le programme

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