Vous publiez un livre revenant sur près de quarante ans de carrière en tant que clinicien mais aussi dans l’administration de la santé. En quoi la médecine a-t-elle changé ?
D’un point de vue technique, il y a eu des progrès évidents qui ont permis de raccourcir les séjours à l’hôpital, ou de prolonger la vie des patients atteints d’une maladie chronique. Ce qui fondamentalement n’a, hélas, pas changé c’est l’attention portée aux malades. On sait traiter les maladies, mais pas soigner les malades.
Que voulez-vous dire ?
Tous les patients souhaitent être écoutés, conseillés, informés, notamment ceux, nombreux, qui ne souffrent pas d’une maladie mais d’un mal-être dû à des problèmes familiaux ou professionnels. Pour découvrir les causes de leurs malaises et éviter de prescrire des examens inutiles, coûteux, et parfois dangereux, il suffit le plus souvent d’écouter le patient.
Le premier entretien entre un médecin et un malade ne devrait pas durer moins d’une heure. Ce qui est impossible en médecine libérale et difficile à l’hôpital. La disponibilité est pourtant une condition nécessaire à la qualité des soins. Jamais personne ne m’a parlé de la relation médecin-malade durant mes études. Aujourd’hui, il n’y a toujours aucune formation digne de ce nom.
La technologie a-t-elle pris le pas sur l’humanisme ?
Oui. Ce n’est pas neutre car la technologie implique des interventions lourdes. Les décisions médicales, alors que plusieurs attitudes et thérapeutiques sont disponibles, sont le plus souvent l’expression des préférences des médecins et non celles des malades. On ne leur fournit pas les informations sur les enjeux, et les risques des traitements qu’on leur propose.
La médecine a-t-elle peur de la mort ?
Les soins palliatifs sont un réel progrès. Mais l’acharnement palliatif a remplacé parfois l’acharnement thérapeutique. On se débarrasse des malades en les plaçant dans des services spécialisés, alors que les soins palliatifs devraient être faits dans la majorité des services hospitaliers et surtout à domicile. Il ne suffit pas de calmer la douleur, on doit tenir compte de la souffrance psychologique. Lorsqu’un patient demande à mourir, sa demande doit être comprise et acceptée.
Le Parlement vient d’examiner le budget de la Sécurité sociale. En 1991, vous aviez produit un rapport qui avait fait scandale en dénonçant plus de 100 milliards de francs de gaspillage. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les excès de prescription dont je parlais, non seulement persistent, mais s’accroissent. Ils sont à l’origine d’effets indésirables parfois graves et de décès dont le nombre probable est de l’ordre de plusieurs milliers par an. 30% des activités de soins constituent un gaspillage de 55 milliards d’euros. On pourrait, théoriquement, économiser sur les dépenses totales de santé 70 milliards d’euros par an, soit presque l’équivalent de l’impôt sur le revenu. Le tout en améliorant la qualité des soins.
Sur quoi vous basez-vous ?
Je me base sur des données publiques. Les exemples de gabegie sont infinis. Nous avons par exemple en France des frais administratifs de gestion des soins très élevés. S’ils étaient dans la moyenne européenne, on économiserait 7 milliards. L’Assurance-maladie ne serait plus en déficit. Les fraudes ont un coût minimal de 1 milliard et 500 millions pourraient être économisés par une meilleure utilisation des moyens de transport des malades. Savez-vous également qu’un même médicament peut être vendu très cher au nom de sa grande efficacité, par exemple contre le cancer du côlon, mais qu’il sera vendu et remboursé au même prix s’il est prescrit pour un cancer de l’estomac, même s’il est trois fois moins efficace ?
Les conclusions de votre rapport avaient été confirmées par les caisses primaires. Pourquoi rien n’a changé ?
Les Français ne veulent pas qu’on fasse du mal aux médecins. Et ceux-ci sont très influents au niveau politique. Pour preuve, la tolérance du gouvernement vis-à-vis de la croissance des dépassements d’honoraires notamment des médecins universitaires. De leur côté, les laboratoires pratiquent également un chantage à l’emploi. Ce système profite à beaucoup. Sauf au contribuable et au patient.
Le système de santé français ne trouve-t-il aucune grâce à vos yeux ?
L’organisation des soins est restée inchangée depuis un siècle. La France n’a toujours pas un véritable système de soins. Ils ne sont ni suivis ni coordonnés, en raison de l’absence d’une organisation des soins primaires assurés par des groupes multidisciplinaires de soignants qui répondraient à plus de 90 % des demandes initiales et à la plupart des urgences non vitales.
Quant à la Sécurité sociale, elle ne répond plus aux principes posés lors de sa création en 1945. Car beaucoup de malades ne peuvent accéder aux soins à cause de leur coût, y compris une partie de ceux qui sont théoriquement remboursés à 100 %. Ils doivent en réalité faire face à des dépenses qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros chaque année. Ces faits attristants sont connus. Depuis longtemps.
Propos recueillis par Yann SAINT-SERNIN pour « Sud Ouest Dimanche ».