Pourquoi écrire un livre sur la course à pieds nus si c’est notre manière naturelle de courir ?
Pensez-vous que j'aurai écrit un livre sur la course pieds nus si la seule chose à dire, c’était « retirez vos chaussures » ? N’importe qui pourrait vous dire ça. Oui, quitter mes chaussures est bel et bien ce que j’ai fait il y a 20 ans quand j’en ai eu marre des ampoules causées par mes chaussures de course, et jamais je n’ai regretté cette décision. Mais, après avoir créé le premier site web sur la course pieds nus, couru 79 marathons pieds nus, dirigé des dizaines d’ateliers d’initiation, et m’être habitué au surnom de « pape » de la course pieds nus, je suis arrivé à une conclusion : la course pieds nus est bénéfique pour tous les coureurs mais présente certains problèmes. Certaines personnes n’en retirent pas autant de bénéfices qu’elles le devraient. D’autres abandonnent même et retournent aux chaussures. Le problème ? Le manque de connaissances. C’est un fait : vous avez besoin d’apprendre à courir pieds nus.
Quel est le problème avec les chaussures ?
Le fait de courir avec des chaussures empêche le bon fonctionnement des pieds, des chevilles, des hanches, des genoux, du bas du dos, étouffe nos sensations, gêne notre proprioception (notre perception de la position des différentes parties de notre corps), nous fait perdre l’équilibre, encourage de dangereux changements dans notre biomécanique, augmentant ainsi le stress sur nos articulations.
Mais les chaussures n'absorbent pas l'impact du pied avec le sol ?
Une étude du Dr Daniel Lieberman, publiée dans la revue Nature de décembre 2010, a permis de faire un grand pas en avant. Cette étude, conduite entre 2005 et 2009 sur des coureurs pieds nus, dont mon ami Preston Curtis, a été la première à expliquer scientifiquement la physique de la course pieds nus, en observant pour la première fois la technique de coureurs pieds nus expérimentés, de longue date, plutôt que celle de coureurs habituellement chaussés qui retirent leurs chaussures pour les besoins de quelques tests. À l’aide d’une caméra à haute-vitesse (500 images/seconde) et d’un tapis de course sophistiqué capable de mesurer avec précision le poids et l’impact des coureurs, Lieberman a découvert quelque chose qui, au premier abord, l’a surpris mais qui permet d’expliquer pourquoi la course pieds nus est confortable et sans risque pour les articulations, même quand elle est pratiquée sur les surfaces modernes les plus dures comme par exemple le goudron.
Tout d’abord, ses observations ont conclu que l’atterrissage par l’avant-pied des coureurs pieds nus permettait de réduire jusqu’à 50 % la charge par rapport à celle mesurée lors de l’attaque-talon du coureur chaussé. Mais aussi, de manière plus surprenante, il a découvert que la course pieds nus permettait non seulement de réduire drastiquement le choc transitoire (techniquement, la soudaineté avec laquelle l’impact se réalise), mais surtout de faire littéralement disparaître ce choc.
L’absence de ce choc, cette transition brusque qui rend l’attaque-talon si douloureuse quand on court pieds nus, permet de bien comprendre comment et pourquoi la course pieds nus fonctionne.
Quel conseil primordial peut-on donner aux néophytes ?
« Pliez vos genoux, un peu plus que ce qui vous semble nécessaire » est très certainement mon plus grand conseil pour une course agréable et sans blessures, que vous soyez pieds nus ou chaussé. Mon livre est rempli de conseils techniques, d’ajustements à mettre en place et d’écueils à éviter, mais tout commence ici : en fléchissant le genou, ou tout du moins, en le « débloquant » quand vous vous tenez debout, marchez ou courez. Effectué correctement, ce genou fléchi transforme votre jambe en un ressort, tout le contraire d’un manche à balai rigide.
Avez-vous une recommandation pour un coureur entraîné qui veut tenter l'expérience ?
Les coureurs expérimentés qui ont l’habitude de marteler quotidiennement le sol sur 8 km avec des chaussures aux pieds pensent naturellement qu’ils peuvent marteler quotidiennement le sol sur 8 km en étant pieds nus. En fait, la sensation est tellement exaltante qu’ils peuvent même avoir envie d’en faire plus. Lors de sa première sortie déchaussée, la dernière chose qu’un novice souhaitera est de se limiter, d’y aller doucement, pour graduellement apprendre les nuances de la nouvelle technique. Dans ce cas, le réveil du lendemain risquera d’être terrible.
Voilà pourquoi j’ai toujours trouvé plus facile d’enseigner la course pieds nus aux non-coureurs. Ils n’ont pas de mauvaises habitudes à perdre, ni l’objectif déraisonnable de sauter le portail pour aller courir 40 km par semaine. Ils sont très heureux de parcourir 200 mètres la première fois, pour augmenter graduellement jusqu’à 2 km, tout en apprenant à courir délicatement et sans blessures. Bien souvent, après un mois de pratique, ils sont capables de réaliser des sorties de 5 km.
Au contraire, les coureurs de longue date n’ont souvent ni la patience, ni la bonne approche. Ils considèrent en général, et à tort, que la seule chose qu’implique une transition vers le pied nu est le renforcement de la plante des pieds. Il est vrai que la plante de vos pieds après des années en chaussures est pâle, faible et extrêmement fragile. Mais elle est aussi très résiliente et apprend très vite. Enseigner à la plante de vos pieds la bonne technique pieds nus est très simple : il suffit d’écouter la douleur. La douleur vous apprend à retirer votre main du feu. Elle vous apprend également qu’un caillou peut faire mal si vous vous crispez au moment où vous posez le pied dessus, et que de distribuer le poids de votre corps sur la surface la plus large possible permet de minimiser les dégâts. Et devinez quoi ? C’est exactement ce que vous allez faire si vous acceptez de vous détendre.