"Les hommes préhistoriques ne dépassaient pas l'âge de 30 ans." Vrai ou Faux ?

"Les hommes préhistoriques ne dépassaient pas l'âge de 30 ans." Vrai ou Faux ?

Le régime paléo, un modèle alimentaire évolutionniste, inspiré des pratiques alimentaires de l’époque pré-agricole, suivi paisiblement par des centaines de milliers de personnes dans le monde, gêne je ne sais quel intérêt supérieur au point qu’il est devenu de bon ton de lui cogner dessus.

Un article récent paru dans Le Monde ne déroge pas à cette règle. L’article s’intitule : « Les arguments pseudo-scientifiques du régime paléo ». Je suis reconnaissant à son auteur de me permettre de répondre en détail à son principal argument : « les justifications [du régime paléo] n’ont rien de scientifique. »

J’ai présenté ce modèle alimentaire au public francophone dans un dossier de Sciences et Avenir [1] en 2001, puis j’en ai explicité les principes en 2007 dans un livre qui m’avait été suggéré par le regretté David Servan-Schreiber.[2] Depuis, j’en suis les évolutions, en lien avec les principaux chercheurs, dont certains sont devenus des amis. En tant qu’éditeur, j’ai publié les livres de plusieurs auteurs sur ce thème. 

Mais qu’est-ce que le paléo ? L’intérêt pour un mode de vie ancestral a émergé dès le dix-neuvième siècle outre-Atlantique avec entre autres le Boone and Crockett Club fondé en 1887 et le Sierra Club en 1892. Devenu président en 1901, Theodore Roosevelt s’inscrit dans ce mouvement. Il se posera en défenseur ardent de la nature, créant 150 forêts nationales, 51 réserves aviaires, 5 parcs nationaux.

Le concept plus spécifique de régime paléo a surtout émergé dans les années 1980 [3] quand Stanley Boyd Eaton et Melvin Konner ont publié dans le New England Journal of Medicine leur article séminal « Nutrition paléolithique – considération sur sa nature et ses implications. » [4] Des centaines de publications ont suivi depuis. Le régime paléolithique s’inspire de la médecine évolutionniste et postule que les changements alimentaires intervenus depuis 10 000 ans expliquent en partie le développement de maladies chroniques non transmissibles : obésité, diabète, myopie et presbytie, acné, maladies dégénératives, maladies cardiovasculaires.

De quels changements alimentaires s’agit-il ? Ils sont de deux ordres : d’abord à l’époque agricole, l’apparition dans les assiettes d’aliments jamais consommés auparavant (lait, céréales, légumineuses, sucre, sel), puis plus récemment, avec l’industrialisation, l’émergence d’aliments ultra-transformés (et l’usage d’additifs et de pesticides !). Le régime paléo peut revêtir plusieurs formes, il peut même être entièrement végétarien.

Eaton et Konner ont postulé en 1985 que la physiologie humaine n’avait pas eu le temps de s’adapter aux bouleversements alimentaires intervenus depuis 10 000 ans. Dix mille ans, cela paraît beaucoup, mais si l’on estime que les premières espèces de la lignée humaine vivaient il y a sept millions d’années, c’est peu. On y reviendra, bien sûr.

Voici le premier des lieux communs relevés dans les articles qui dénigrent le paléo.

"Les hommes préhistoriques ne dépassaient pas l’âge de 30 ans."

Dans Le Monde, une variante de cette tarte à la crème des détracteurs du paléo est formulée ainsi : si nos ancêtres ne connaissaient pas de maladies dégénératives, c’est « qu’ils mouraient avant de les avoir ». Vraiment ?

L’espérance de vie à l’époque préhistorique était certes peu élevée. Si l'on dit qu'elle était de 30 ou 40 ou 45 ans, cela ne signifie pas qu’aucun adulte n’atteignait l’âge de 30 ou 40 ou 45 ans. Par exemple, dans l’étude conduite sur les Kitavas de Nouvelle-Guinée, des tribus qui vivent encore à l’âge de la pierre, [5] l’espérance de vie à la naissance est estimée à 45 ans, mais le nombre d’individus de plus de 45 ans chez les Kitavas est relativement important et les âges extrêmes (96 et 100 ans) sont identiques à ceux que l’on rencontre en Occident, sans aucun des moyens médicaux dont nous disposons.

En fait, l'espérance de vie à la naissance est une moyenne qui prend évidemment en compte la mortalité infantileOr la mortalité infantile est très élevée chez les chasseurs-cueilleurs. Elle est jusqu’à 30 fois supérieure à celle que connaissent les pays développés. Près de 40% des membres de tribus de chasseurs-cueilleurs n’atteignent pas l’âge de 15 ans. Cependant, toutes les tribus de chasseurs-cueilleurs ont leurs personnes plus âgées, leurs « seniors » comme on dit aujourd’hui.

Ce qu'il faut regarder, c'est l'espérance de vie à 15, 30 ou 45 ans. Par exemple, l’espérance de vie à 15 ans des Aborigènes est de 48 ans (supplémentaires), et de 51 ans pour les !Kung du Kalahari. Mon ami Staffan Lindeberg, le principal auteur de l’étude sur les Kitavas de Nouvelle-Guinée, estime d’ailleurs que l’espérance de vie d’un homme de 45 ans y est similaire à celle d’un Suédois. Cela signifie qu’un chasseur-cueilleur de Nouvelle-Guinée âgé de 45 ans peut espérer jouir en moyenne de plus de 30 années supplémentaires. Rappelons qu’au milieu du 18ème siècle, l’espérance de vie d’un Suédois à la naissance était de 34 ans, et l’espérance à 45 ans de 20 ans supplémentaire.

D’autres études ont rapporté des chiffres assez proches. Chez les Tsimané de Bolivie qui il est vrai pratiquent une agriculture de subsistance, l’âge modal au décès (qui renseigne sur la durée de vie la plus commune des adultes, sans l’influence des conditions de mortalité aux jeunes âges) est de 78 ans. [6]

Une étude conduite par Rachel Caspari à l'université du Michigan sur la dentition de 768 fossiles, laisse penser qu'entre -100 000 ans et - 30 000 ans, il y avait 4 adultes âgés pour 10 adultes jeunes, mais qu'il y a 30 000 ans, au paléolithique supérieur, la tendance s'inverse, avec 20 adultes âgés pour 10 jeunes adultes. Rachel Caspari l'attribue à l'émergence de "grands-parents" dans les sociétés préhistoriques. Mais si les activités artistiques de nos ancêtres sont corrélées à la présence de cellules familiales ou tribales avec des adultes âgés, alors il faut tenir compte du fait que des pigments vraisemblablement utilisés pour la peinture sur corps ont été retrouvés il y a 164 000 ans sur des sites de Mossel Bay (Afrique du Sud), de même que des perles faites de coquillages et des morceaux d'oxyde de fer gravés datant de - 71 000 ans ont été exhumés à la grotte Blombos en Afrique du Sud. 

Il ya donc eu depuis plusieurs dizaines de milliers d'années des individus atteignant un âge respectable, et l'exemple des chasseurs-cueilleurs des temps modernes (dont certains vivent dans des conditions extrêmes) nous montre que lorsque ce n'était pas le cas, la responsabilité n'en est pas le régime alimentaire mais plus vraisemblablement les guerres et les conflits. Ces individus âgés, de plus en plus nombreux au paléolithique supérieur, avaient comme les chasseurs-cueilleurs des temps modernes, tout le temps de développer des maladies chroniques non transmissibles.  

Sauf qu'ils n'en avaient probablement pas ou peu, comme le montre le billet suivant.

De plus, un régime de type paléo améliore de nombreux paramètres de la santé.



[1] Souccar T. Le régime préhistorique, Sciences et Avenir n°651, mai 2001.

[2] Souccar T. Le régime préhistorique. Editions Indigène (Montpellier), 2007.

[3] Eaton SB, Konner M. Paleolithic nutrition. A consideration of its nature and current implications. N Engl J Med. 1985 Jan 31;312(5):283-9. Review. PubMed PMID: 2981409.

Auteur

Thierry Souccar

Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr

Thierry Souccar est journaliste scientifique, rédacteur en chef de LaNutrition.fr et du e-magazine Le Monde de la Nutrition. Il a écrit 20 livres de vulgarisation sur la nutrition et la santé publique dont plusieurs best-sellers.

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