Un régime contre Alzheimer

Un régime contre Alzheimer

Que faire quand un proche est diagnostiqué Alzheimer ? Peut-on freiner l'évolution de la maladie, voire la stabiliser ? Avec quels traitements ? La question, sans réponse, plonge aujourd’hui le corps médical dans l'embarras, et les malades et leur famille dans le désarroi. L’enthousiasme pour les médicaments est retombé : aucune des molécules actuelles ne paraît efficace. Certes, le gouvernement américain a annoncé il y a un an qu’il allait affecter plus de 33 millions de dollars à la recherche et la mise au point de médicaments, mais ceux-ci sont destinés à prévenir la maladie chez les personnes en bonne santé, pas à la guérir. Il y a d’ailleurs peu d’espoir que des médicaments efficaces et non toxiques soient proposés aux malades dans les années à venir.

C’est parce qu’une telle impuissance lui était insupportable, que le Dr Michèle Serrand, une gériatre de l’hôpital Arthur Gardiner à Dinard (Ille-et-Vilaine) s’est muée en détective médicale pour rechercher des moyens sinon de guérir ses patients, du moins d’enrayer la maladie.

Le livre dans lequel elle présente le résultat de son enquête est une porte entrouverte, une lueur d'espoir certes bien timide, mais voilà que pour la première fois se laisse entrevoir une piste thérapeutique prometteuse, qui repose sur un simple changement alimentaire que l'on peut instaurer à la maison ou en structure d'accueil.

Diabète et Alzheimer ont des caractéristiques communes

La piste suivie par le Dr Serrand commence par ce constat : diabète et maladie d’Alzheimer ont progressé de concert dans tous les pays développés. En fait, les diabétiques ont un risque 2 à 5 fois plus élevé que les personnes en bonne santé de développer un Alzheimer. Et les diabétiques qui cumulent les scores les plus élevés de complications de la maladie auraient, eux, un risque multiplié par 37 selon une étude publiée dans le Lancet.

Or il se trouve que diabète et Alzheimer partagent des caractéristiques troublantes.

  • Le glucose, qui provient de notre alimentation, est le carburant privilégié pour les cellules nerveuses et le bon fonctionnement du cerveau, mais dans le diabète, les zones du cerveau précisément menacées par la maladie d’Alzheimer ne parviennent plus à utiliser correctement ce glucose.  De même, la maladie d’Alzheimer s’accompagne-t-elle d’une baisse de 20 à 40% de l’utilisation du glucose. Cette baisse, dans le diabète comme dans Alzheimer, s’expliquerait par le fait que l’insuline ne parvient plus à jouer son rôle de signalisation (on parle de résistance chronique périphérique à l’insuline), ce qui diminuerait le nombre de récepteurs à l’insuline dans le cerveau.
  • Les perturbations du métabolisme du glucose entraînent l’apparition de sous produits toxiques issus de la réaction entre des sucres réducteurs (glucose, fructose) et des fragments de protéines. On les appelle produits de glycation avancés ou AGE. On trouve des quantités importantes d’AGE dans la rétine, les reins, les nerfs périphériques, le système nerveux central des diabétiques, mais aussi des malades d’Alzheimer. Or les AGE favorisent la formation de plaques séniles.
  • Dans le diabète comme dans Alzheimer, les troubles du métabolisme du glucose conduisent à une baisse de la production d’énergie dans les centrales énergétiques des cellules (les mitochondries). On pense que cette baisse favorise elle aussi le dépôt de protéines (bêta-amyloïde et tau) caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.

Comment venir en aide aux malades, dont les cellules nerveuses, sevrées de glucose, meurent à petit feu, tandis que les plaques séniles progressent inéluctablement ?

Les cétones, l'autre carburant du cerveau

La réponse est dans la biochimie, comme l’a vérifié le Dr Serrand. Les personnes qui jeûnent, celles qui consomment très peu de glucides et beaucoup de graisses entrent en quelques jours dans un état appelé « cétose ». Dans ces situations, la glycémie est seulement modérément abaissée (65-80 au lieu de 80-100 mg/dL), mais les réserves de glucose ne permettent plus d’alimenter le système nerveux central. De plus, les acides gras issus des graisses alimentaires ou des réserves corporelles ne franchissent pas la barrière hémo-encéphalique et ne peuvent donc pas être utilisés comme carburant de remplacement du glucose. Pourtant, un jeûne de quelques jours n’est ni mortel ni dangereux pour le cerveau. Que se passe-t-il ?

Il se passe que le cerveau trouve une source d’énergie alternative. Il s’agit de substances appelées cétones (acétoacétate, 3-hydroxybutyrate ou 3-HB, acétone) produites par le foie à partir des acides gras.

Dans des conditions habituelles, la concentration de cétones dans le sang est faible (<0,3 mmol/L) par rapport à celle de glucose (environ 4 mmol/L). Mais en période de jeûne ou de régime pauvre en glucides, cette concentration peut monter jusqu’à 7 à 8 mmol/L. Une fois que la concentration de cétones atteint 4 mmol/L, le système nerveux central commence à les utiliser comme source d’énergie. Il faut noter que les cétones sont capables de fournir plus d’énergie que le glucose.

Dans son livre, le Dr Serrand propose d’instaurer un régime cétogène chez les malades d’Alzheimer. Pas de promesses inconsidérées, pas de miracle à attendre. Les preuves scientifiques sont encore limitées. Mais plusieurs cas cliniques de patients montrent que le régime cétogène peut être bénéfique, ne serait-ce qu'à une partie d'entre eux. Surtout, écrit-elle, il n’y a rien à perdre et tout à gagner. Le Dr Serrand explique comment mettre en place une alimentation de ce type chez les malades, en réduisant ou choisissant mieux les glucides, et en incorporant des corps gras qui favorisent les corps cétoniques.

Et si on a la chance d’être en bonne santé, d’avoir toute sa tête, on doit bien réfléchir à la chaîne des événements qui lie les troubles de la glycémie à la démence. En août 2013, une équipe de chercheurs américains, utilisant plus de 35 000 dosages sanguins de glycémie et 10 000 d’hémoglobine glyquée fournis par 2067 volontaires en bonne santé (âge moyen : 76 ans) a trouvé un risque accru de démence chez les personnes non diabétiques dont le taux de sucre sanguin à jeun 5 ans plus tôt était de 115 mg/dL, par rapport à celles qui avaient 100 mg/dL. Chez les diabétiques, le risque était accru de 40% pour des valeurs de glycémie de 190 mg/dL, par rapport à 160 mg/dL.

Une offre alimentaire devenue folle

On ne sait pas encore parfaitement dans quelles circonstances la glycémie se trouve perturbée, mais elles s’étendent probablement sur des décennies, et prennent parfois même leur origine in utero. Ce que l’on sait, c’est que l’époque se caractérise par une avalanche de glucides rapidement digérés, dans un contexte de sédentarité galopante. Ce cocktail serait en grande partie responsable de la dégradation de l’état de santé de nos contemporains : obésité, diabète, stéatose hépatique non alcoolique... Toutes ces conditions ont généralement en commun une résistance à l’insuline, une atteinte des cellules du pancréas qui fabriquent cette hormone, une obésité abdominale (tour de taille de plus de 94 cm chez les hommes, 80 cm chez les femmes), souvent de l’hypertension (140/90 mm Hg et plus), un sucre sanguin élevé (plus de 100 mg/dL).

Les pouvoirs publics, les nutritionnistes bon teint, ont leur responsabilité dans cette situation. Depuis 50 ans, ils n’ont cessé de nous inciter à avaler moins de graisses et de cholestérol, et toujours plus de pain, pâtes, riz, pizzas et autres pommes de terre. Le Programme national nutrition santé (PNNS) martèle depuis bientôt 15 ans qu’il faut manger « moins gras » mais ne surtout pas oublier « les féculents à chaque repas selon l’appétit ».

En dépit de l’indigence de l’argument, ce dogme s’est imposé par la seule force de la répétition et le profit qu’en escomptait l’industrie agro-alimentaire. Dès le milieu des années 1990 en France, les produits pauvres en graisses, light et « 0% » ont envahi les linéaires des supermarchés. Et avec eux la promesse illusoire d’une taille plus mince. Même le beurre s’est « allégé » ! Parallèlement se développait dans la communication des industriels et des « experts » en nutrition cette idée étrange que les farineux et les « glucides complexes » seraient une sorte de panacée dont dépendent absolument, de l’enfance au cercueil, la santé, l’énergie et la ligne.

Si l'intérêt des glucides est incontestable, les glucides "complexes " dont l'industrie inonde nos rayonnages et qu’une partie de la population a tendance aujourd’hui à surconsommer - le pain blanc (ou même complet hélas), le pain de mie (maintenant sans croûte !), le riz blanc, les pommes de terre, les pizzas, les céréales du petit déjeuner ont tous ou presque un index glycémique élevé, c’est-à-dire qu’ils brutalisent le sucre sanguin dans des proportions inconnues par l’humanité depuis sept millions d’années. Cette mauvaise manière faite à l'organisme augmente appétit et surpoids comme l'ont établi de nombreuses études. Et comme si ça ne suffisait pas, les industriels ajoutent d’autres sucres - des amidons, du glucose, du sirop de glucose-fructose, de la maltodextrine, du lactose - à une myriade d’aliments préparés qui n’en ont pas besoin, si bien que les sucres sont partout, même quand on croit ne manger que des protéines, comme avec le surimi ou le jambon.

Le message qu’avec nos auteurs nous délivrons depuis des années est un message de simple bon sens et de modération. Nous pensons que l’activité physique est irremplaçable. Qu’il est préférable de se nourrir majoritairement d’aliments non transformés. Que la qualité des glucides et des graisses est plus importante que leur quantité. Que le terme de « glucides complexes » ne veut absolument rien dire : il y a des glucides, y compris bien sûr des féculents, qui ont toute leur place sur nos tables, et d’autres qu’il vaut mieux limiter sur la base de leur index glycémique. Quant à la phobie des graisses, elle n’a conduit qu’à des excès. Peut-être même est-elle en partie derrière l'épidémie de démences à laquelle toutes les nations doivent faire face.

Si vous souffrez de diabète ou si votre sucre sanguin est élevé, vous pourriez envisager un régime de type cétogène avec votre médecin, au moins pendant quelques mois. Les études suggèrent que ce type de régime est plus efficace que le régime pauvre en graisses longtemps recommandé. 

Auteur

Thierry Souccar

Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr

Thierry Souccar est journaliste scientifique, rédacteur en chef de LaNutrition.fr et du e-magazine Le Monde de la Nutrition. Il a écrit 20 livres de vulgarisation sur la nutrition et la santé publique dont plusieurs best-sellers.

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