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Jusqu’à présent, on a cru pouvoir gérer l’alimentation humaine par des recommandations nutritionnelles déconnectées des modes de production écologiques de terrain. Or, aucun système alimentaire ne peut perdurer s’il a des conséquences très négatives sur l’environnement, s’il participe très fortement au réchauffement climatique, s’il porte atteinte à la biodiversité » explique Christian Rémésy, paysan-chercheur et nutritionniste, et auteur
La nutriécologie.
La solution ? Développer des systèmes alimentaires qui concilient à la fois les enjeux nutritionnels et écologiques. C'est ce qu'il propose avec la nutriécologie, une nouvelle discipline qui montre que l'on peut effectivement bien se nourrir et préserver la planète. Dans le contexte actuel de crise écologique, « il faut bien reconnaître que c’est une excellente nouvelle », souligne cet ancien directeur de recherche en nutrition humaine à l'Inra.
« Nous avons besoin de sortir du système alimentaire actuel, de produire et de manger autrement pour préserver la santé de l’homme et celle de la planète ». Pour Christian Rémésy, « le pain est l’aliment idéal pour insuffler le changement dont nous avons besoin. La nature du pain que nous consommerons à l’avenir, soit sera dans la continuité de la filière actuelle avec ses défauts nutritionnels et écologiques, soit ouvrira la voie à un changement profond de nos habitudes alimentaires et du profil de nos campagnes ».
Le pain d'autrefois
Depuis toujours en France, le pain a bénéficié d’une valeur symbolique de partage et longtemps, le pain a été nourrissant. Il était issu de variétés régionales de blé, adaptées à leur terroir donnant une céréale de bonne qualité nutritionnelle. Les procédés de mouture et tamisage, rudimentaires, permettait de faire un pain avec une farine riche en fibres, minéraux et micronutriments. La pâte était fermentée avec du levain naturel, son pétrissage manuel n'induisait pas d'oxydation tout en ménageant le réseau du gluten et la teneur en sel du pain était faible. À la clé : un pain nourrissant et qui se conservait longtemps.
Les défauts du pain blanc actuel
La généralisation de la consommation de pain blanc depuis les années 1950 – qui pouvait sembler une bonne idée aux Français meurtris par les privations et le pain noir de la Seconde Guerre mondiale – et l’hégémonie de notre baguette nationale n’ont cependant pas constitué une bonne solution sur le plan nutritionnel, pas plus que sur le plan écologique :
- La panification avec des farines de type 65 (blanches) a privé le pain des deux tiers de ses fibres, minéraux et micronutriments.
- Le pain blanc, habituellement fermenté à la levure, trop pétri, trop salé a une valeur nutritionnelle médiocre.
- L’intensification de la culture des blés modernes est bien peu écologique car il nécessite des traitements chimiques importants et appauvrit les sols et la biodiversité des campagnes. En plus elle est relativement inutile puisque la matière première blé représente moins de 5% du prix du pain.
Bilan : la filière blé-pain actuelle est à bout de souffle, la consommation de pain en France (de moins de 100 g par jour) n’a jamais été aussi faible et le pain aussi peu nourrissant. Sans compter
Ce que propose la nutriécologie
Pour la nutriécologie, il faut mettre le pain sur une nouvelle voie :
- Revenir à une production de blé la plus écologique possible, avec des variétés rustiques adaptées à leur terroir, peu exigeantes en azote, et dont le gluten sera a priori plus digestible.
- Abandonner les procédés conventionnels de panification, basés sur des farines dopées en gluten, sur des pétrissages trop intensifs et des ajouts de levure et de sel excessifs.
- Généraliser l'utilisation de farines « semi-complètes » de type 80.
- Utiliser de nouvelles techniques de fermentation préalable des sons, de céréales intégrales et de farines de légumes secs afin de diversifier le pain et d’améliorer fortement sa densité nutritionnelle.
Et c'est possible puisqu'un changement notable auquel Christian Rémésy a participé est déjà amorcé. Il réhabilite des variétés anciennes de blé, généralise l’utilisation de farines de type 80, réduit très fortement le pétrissage, l’ensemencement et la teneur en sel, privilégie l’utilisation du levain et une longue maturation enzymatique de la pâte, pour aboutir à des pains de densité nutritionnelle et de digestibilité plus élevés. Cela a même inspiré à des artisans boulangers, meilleurs ouvriers de France, la méthode Respectus Panis.
En conclusion, un meilleur pain, davantage consommé, permettrait à un plus grand nombre de boulangers de retourner dans les fournils, d'améliorer la santé de la population, de modifier les paysages de nos campagnes et de diminuer la pollution des sols.
Pour aller plus loin et découvrir comment mettre en œuvre le seul futur alimentaire possible, lire La nutriécologie