M. Pierre Lance, qui a récemment fait la promotion du chlorure de magnésium comme remède contre le virus Ebola reprend la parole dans une tribune publiée sur Internet.
Je pensais qu’il allait profiter de cette occasion pour apporter enfin des preuves de ce qu’il écrit.
C’est quand même la moindre des choses, après avoir soutenu mordicus à des centaines de milliers de personnes que ce sel de magnésium a de « puissants effets contre pour lutter contre la fièvre hémorragique causée par le virus Ebola ».
Lorsqu’on dispose d’une telle tribune, on a, je pense, une obligation d’honnêteté et de rigueur vis-à-vis de ceux qui vous lisent : ne rien affirmer qui ne soit étayé par un minimum de preuves.
Mais Pierre Lance n’amène, cette fois pas plus que la précédente, la moindre preuve scientifique de ce qu’il avance.
Alors pourquoi cette tribune ?
M. Pierre Lance n’a pas apprécié que je relève dans mon blog la vacuité de ses arguments. Bref il n’est pas content. Et tout à sa colère, il a recours aux attaques personnelles, au dénigrement, à l’invective et à toutes ces méthodes sympathiques, bien utiles pour masquer l’inanité d’un propos. Car sur le fond, il se borne à ressasser ce qu’il nous a dit dans son premier texte, citer Wikipedia dans le texte, et me reprendre avec véhémence sur des phrases qu’il n’aurait pas écrites. Alors allons-y.
Après vérification, Pierre Lance a raison de dire que deux phrases que je lui prête ne sont pas de lui, mais de Jean-Marc Dupuis. Dont acte (dans la version du texte que j’ai reçue, seule la signature de Pierre Lance apparaissait). Mais en citant ces passages, Pierre Lance parle de « l’excellent texte de Dupuis ». Ces deux phrases ne sont certes pas de lui, mais il s’y associe.
Et c’est à peu près tout ce que je peux lui concéder.
Fâché pas qu'avec moi. Avec les méthodes scientifiques aussi
Pour le reste, je ne veux pas accabler M. Pierre Lance car il le fait très bien lui-même. Par exemple, on se rend compte qu’il a un peu de mal avec les méthodes scientifiques. C’était évident dès sa première lettre sur Ebola et ça l’est encore plus dans sa réponse à mon blog.
Pour commencer, il m’accuse de « reprocher » au Dr Delbet de n’avoir pas mené d’étude contrôlée pour valider ses travaux. Mais cher Monsieur, je ne « reproche » rien à Delbet. Je constate simplement qu’en l’absence d’étude contrôlée, l’efficacité que Delbet attribuait au chlorure de magnésium n’a pas pu être vérifiée.
Pierre Lance n’a d’ailleurs pas l’air de bien savoir ce qu’est une étude contrôlée puisqu’il s’écrie : « Et contrôlée par qui, Monsieur l’Expert ? Par les patrons du complexe pharmaco-industriel qui n’en ont rien à cirer ? »
La réponse est : contrôlée par Delbet lui-même. Nul besoin de Bayer ni de Hoffman-Laroche pour mener une telle étude. Il s’agit simplement de constituer un groupe traité au chlorure de magnésium et un groupe qui reçoit soit un placebo, soit un autre sel de magnésium. N’importe quel médecin, ou hôpital, celui de Delbet par exemple, pouvait conduire une telle étude. Cela n’a pas été fait.
Pareil pour le chikungunya à La Réunion. Quand je fais remarquer qu’il n’y a aucune donnée épidémiologique pour affirmer que le chlorure de magnésium a eu raison de cette maladie, Pierre Lance, pourtant sous magnésium, s’énerve : « Et qui donc allait se mettre en peine de réunir ces fameuses « données épidémiologiques » ? M. Souccar sait-il seulement en quoi consiste une enquête épidémiologique ? » Et de citer dans la foulée la définition d’une étude prospective donnée par… Wikipedia !
J’ai cette chance de ne pas avoir besoin de faire appel à Wikipedia pour comprendre et utiliser l’épidémiologie, qui est mon quotidien depuis plus de 25 ans. Et je vais donc apprendre à M. Lance qu’on n’a pas besoin d’études prospectives pour documenter des effets. Dans le cas de La Réunion, une simple étude rétrospective, par exemple cas-témoins, menée par un groupe de médecins, pouvait faire l’affaire. Comme le dit perfidement Wikipedia, que je cite à mon tour par égard pour Pierre Lance, « les études cas-témoins sont des études qui sont relativement peu onéreuses et faciles à mettre en place. »
Pierre Lance pas d'accord avec Lance Pierre
Dans son nouveau texte, Pierre Lance assure que j’ai trahi ses propos : « Je n’ai jamais dit que le chlorure de magnésium était une « substance miracle ». Allons bon ! Mais qui a donc écrit ceci à propos du chikungunya à La Réunion : « la nouvelle du remède-miracle se répandit dans l’île » ? Si ce n’est pas Pierre Lance, c’est Lance Pierre.
Ailleurs, il m’accuse d’avoir mis sous sa plume la liste des « bienfaits » universels du chlorure de magnésium, alors que ce serait celle du Dr Delbet qu’il « ne faisait que citer ». Il a manifestement oublié qu’il présentait cette fameuse liste en ces termes : « Il est ainsi avéré que le chlorure de magnésium favorise.… ».
Bref, M. Lance se targue d’avoir un esprit en or massif, grâce, croit-on comprendre, au chlorure de magnésium qu’il prend depuis 50 ans. Peut-être devrait-il augmenter les doses ?
La raison contre les croyances
Quant à moi, je ne prends pas de chlorure de magnésium, mais je ne suis pas aussi agité ! Cela m’a permis d’être depuis des décennies, avec constance et conviction, un acteur dans la promotion des alternatives naturelles crédibles aux médicaments. Avec Jean-Paul Curtay nous avons publié il y a près de 20 ans une somme sur les vitamines, basée sur la littérature scientifique, et qui fait toujours référence (1). J’ai été parmi les premiers à dénoncer les lobbies pharmaceutiques et agro-alimentaires, ainsi que les liens d’intérêt des experts. Avec Isabelle Robard, nous en avons fait un livre retentissant, sorti il y a déjà 10 ans (2). J’ai le premier, dès 1995, exposé le problème du bisphénol A, puis décrit le scandale du Vioxx, celui du tryptophane abusivement interdit, dans « Au nom de la science » (3). En tant qu'éditeur, j'ai permis à Michel de Lorgeril - pour ne citer que lui - de démonter en trois livres l'arnaque du cholestérol et des statines et de mettre en avant la suprématie des changements de modes de vie.
Si j'ai quelque crédibilité comme journaliste scientifique, auteur et éditeur, je la dois au souci constant de la rigueur et du respect des lecteurs. Grâce à d’autres de mes amis comme Jean-Paul Curtay ou David Servan-Schreiber, le domaine s’est assaini. On y vante de moins en moins les poudres de perlinpinpin qui nous ont valu d’être si longtemps moqués par la médecine officielle.
Pour aider le public à prendre sa santé en mains, nous avons utilisé la raison contre les croyances, la science contre les dogmes, l’initiative citoyenne contre les lobbies. Aujourd'hui, nous avons besoin de chercheurs, médecins, professionnels de santé, thérapeutes, auteurs, journalistes, investis certes, mais sérieux. Nous n’avons besoin ni d’apôtre, ni de prédicateur, ni de prophète, ni de gourou.
Alors je suis bien d’accord avec M. Pierre Lance pour souhaiter que « controverses et polémiques se déroulent avec mesure, dignité et constant souci des victimes potentielles ».
Mais où sont la « mesure », la « dignité » et le « souci des victimes » quand on fait croire à des populations fragiles qu’on va contrôler le virus d’Ebola avec du magnésium ? Est-ce finalement si éloigné du discours des laboratoires pharmaceutiques qui nous font croire qu’en prenant des statines on n’aura pas d’infarctus ?
Le chlorure de magnésium a peut-être des vertus que les autres sels de magnésium n'ont pas, mais il ne les a peut-être pas. Voilà tout ce que l'on peut dire aujourd'hui.
Dans sa première lettre, Pierre Lance parlait d'ailleurs « des puissants effets [du chlorure de magnésium] pour lutter contre la fièvre hémorragique causée par le virus Ebola ». Dans la seconde, il n’est plus question de « puissants effets », mais de « possibles bienfaits ».
Mon billet a peut-être servi à quelque chose, finalement.
(1) Le nouveau guide des vitamines, Seuil 1996
(2) Santé, mensonges et propagande, Seuil 2004
(3) Au nom de la science, Télémaque 2005