Le traitement de la douleur par les trigger points - un hommage au Dr Janet Travell

Le traitement de la douleur par les trigger points - un hommage au Dr Janet Travell

Il y a un résumé de la contribution de Janet Travell au concept des trigger points dans le livre de Clair et Amber Davies que nous avons traduit et publié (Soulagez vos douleurs par les Trigger Points). « Parmi ceux qui reconnaissent la réalité et l'importance de la douleur myofasciale, écrivent les auteurs, Janet Travell est généralement reconnue comme une pionnière dans le diagnostic et le traitement. Rares sont ceux qui nient qu'elle a seule créé cette branche de la médecine .... Ses concepts révolutionnaires sur la douleur ont amélioré la vie de millions de personnes. » 

C'est ainsi que j'ai découvert l'existence de Janet Travell.

En me documentant sur son parcours, s'est dessiné peu à peu le portrait d'une femme exceptionnelle et attachante. J'ai voulu dans ce court article rendre hommage à celle qui a consacré sa vie à ses patients et qui fut aussi à la Maison Blanche le médecin personnel du président John Kennedy, lequel lui vouait une reconnaissance immense pour lui avoir permis de retrouver une vie normale alors qu’il ne se déplaçait qu’avec des béquilles.

Janet G. Travell est née le 17 Décembre 1901 à New York. Son père, Willard Travell, était médecin  généraliste et nul doute qu’il fut une inspiration dans la décision de Janet, alors très jeune, de devenir médecin. Willard Travell s’intéressait au traitement de la douleur par thérapie physique et rayons X, deux domaines dont il fut l'un des pionniers. 

En 1926, Janet Travell a obtenu son diplôme de médecin de l'Université Cornell de New York, dont elle est sortie major. De Janvier 1927 à Décembre 1928, elle pratique la médecine à l'hôpital Cornell de New York, où elle est alors la seule femme médecin.

En juin 1929, elle épouse John WG "Jack" Powell, un banquier de Wall Street, puis s’installe comme médecin dans le cabinet de son père. Parallèlement, elle se forme à la cardiologie puis enseigne à la faculté de médecine de Cornell. Elle y restera 30 ans et sera nommée professeur de pharmacologie en 1952. 

Après avoir travaillé au service de cardiologie du Beth Israel Hospital de New York de 1939 à 1941, elle intègre le service de médecine orthopédique, où elle se spécialise dans le soulagement de la douleur musculo-squelettique.

Elle a écrit dans son autobiographie (1) que le Service de consultation de cardiologie de l'hôpital Sea View de Staten Island a fourni les conditions qui ont suscité son intérêt pour la douleur d’origine musculaire : « La plupart des patients avaient une maladie pulmonaire qui mettait leur existence en danger, écrit-elle, mais certains d'entre eux se plaignaient plus des douleurs dans les épaules et les bras que de leur maladie. Quand je les ai examinés par palpation systématique, j’ai facilement découvert la présence de zones de déclenchement [trigger, en anglais]. " A cette époque, Janet tombe sur un article du  British Medical Journal,intitulé  “A Preliminary Account of Referred Pains Arising from Muscle” qui allait considérablement l’influencer dans sa recherche des moyens de soulager la douleur.

Janet Travell ne sait alors pas qu’elle est l’un des trois médecins qui, sans se connaître, vont faire naître la discipline des trigger points. Les deux autres sont l’Allemand Michael Gutstein et l’Australien Michael Kelly. Tous les trois, travaillant sur trois continents distincts, ont publié simultanément et indépendamment une série d'articles en anglais sur la douleur myofasciale. Ils ont tous insisté sur « les quatre fonctions cardinales de ce type de douleur : un nodule ou une bande dure palpable dans le muscle, un endroit très localisé extrêmement sensible, la reproduction de la douleur à distance par pression à cet endroit [ douleur référée], et le soulagement de la douleur par massage de l'endroit sensible, ou par injection à cet endroit. »  Tous trois ont correctement identifié les points myofasciaux de déclenchement de la douleur. Cependant, chacun d'eux avait utilisé des termes différents pour le diagnostic et chacun ignorait le travail des autres. Du travail de ces trois pionniers, c’est celui de Janet Travell qui a le mieux traversé le temps.

Quand Janet Travell elle-même a commencé à souffrir de l'épaule et du bras, son père a utilisé la procédure que sa fille avait exploré (une injection dans les trigger points) pour la débarrasser de sa propre douleur.  En 1942, Janet Travell, Seymour H. Rinzler, et Myron Herman ont publié dans le JAMA un article important intitulé "Douleur et incapacité de l'épaule et du bras : traitement par infiltration intramusculaire de chlorhydrate de procaïne". Dix ans plus tard, avec Rinzler, elle a publié dans le journal médical Postgraduate Medicine « La genèse myofasciale de la douleur » qui est rapidement devenu la référence du domaine.

Kennedy, élu président grâce AUX TRIGGER POINTS

Sa rencontre avec le sénateur John Kennedy date de mai 1955. Il était sur des béquilles quand il est venu la consulter pour la première fois. Il souffrait alors de spasmes musculaires dans le bas du dos, qui irradiaient dans la jambe gauche et l’empêchaient de marcher. Dans son autobiographie, Janet raconte qu’il pouvait à peine descendre les trois à quatre marches qui menaient du trottoir à la porte de son cabinet, au-dessous du niveau de la rue. 

Elle a rapidement localisé les trigger points en cause et injecté à ces endroits des doses faibles de procaïne, qui l’ont immédiatement soulagé. Elle a aussi découvert que la jambe gauche de Kennedy était plus courte que l’autre et lui a fait fabriquer des talonnettes pour ses chaussures gauches afin de diminuer le stress au niveau du dos. C’est aussi elle qui lui a recommandé l’usage d’un fauteuil rocking chair, devenu légendaire.

Les traitements du Dr Travell au cours des 5 années qui ont précédé l’élection présidentielle ont été si efficaces que John Kennedy s’est pris à « espérer pouvoir mener une vie sans béquilles », comme l’a écrit son ami et conseiller spécial, Ted Sorensen, dans son livre, Kennedy. John Kennedy aura vu un grand nombre de médecins au cours de sa vie, mais selon son frère Robert, c’est Janet Travell qui lui a permis de devenir président des Etats-Unis.

Quand il a été élu en novembre 1960, John Kennedy a dit à Janet Travell qu'il n’était pas question qu’il change de médecin.  C’est ainsi qu’elle est devenue la première femme à occuper ce poste à la Maison Blanche et le premier civil à le faire depuis la présidence de Warren Harding.

Kennedy l'a décrite comme «un génie médical».  En témoignage de son admiration, il lui a offert une photographie en couleur qui était accrochée dans le bureau de Janet Travell à la Maison-Blanche. Au bas de l'image, le Président avait écrit : "Pour le Dr Travell, qui a rendu ce sourire possible. Affectueusement, John Kennedy."

Après l'assassinat de Kennedy en 1963, son successeur, Lyndon B. Johnson, a demandé à Janet Travell de rester à la Maison Blanche comme médecin. Un an et demi plus tard, elle a démissionné pour retourner à sa pratique privée et écrire son autobiographie. A l'occasion de sa fête d'adieu le 25 Mars 1965, les Johnson lui ont offert un petit document encadré sur lequel on pouvait lire : «Ordonnance pour le bonheur par les "Drs. Johnson & Johnson & Johnson & Johnson, 1600 Pennsylvania Avenue, NW, Washington, DC. Ouvert Jour et nuit, téléphone MALdedos 0-000. Prendre fréquemment une grande dose de Dr Janet Travell.  Remède efficace contre les maux, douleurs, douleurs, risques professionnels, et plaintes habituelles, à la Maison Blanche et à l'extérieur. Lyndon B. Johnson et Lady Bird Johnson

Janet Travell a apprécié ses années passées à la Maison Blanche, mais ce qu’elle a aimé le plus a été d’enseigner, donner des conférences et écrire des articles sur la douleur myofasciale chronique. Elle a rencontré le Dr David G. Simons quand elle enseignait à l'École de médecine aérospatiale de Brooks Air Force Base au Texas dans les années 1960.  David Simons a relayé avec passion les concepts de Janet Travell, et il a analysé la littérature internationale, lui fournissant les vérifications neurophysiologiques indispensables à la clinique et à l’expérimentation. Il a toujours essayé de trouver des explications scientifiques au succès que rencontraient ses traitements.

Après la mort de son mari d'un cancer du pancréas en juillet 1973, Janet Travell a pris des locataires à titre gracieux dans sa maison. Ces jeunes hommes et femmes préparaient ses repas, lui tenait compagnie, l’amenaient à l'aéroport ou venaient l’y chercher. 

Elle a continué à exercer la médecine, enseigner, et écrire, même âgée de plus de 90 ans. En 1996, à 95 ans, elle a déménagé à Northampton, Massachusetts, afin d’être plus proche de sa famille et de la résidence d'été qu’elle aimait. 

Le 1er Août 1997, elle a succombé à une insuffisance cardiaque à son domicile. Elle est enterrée avec son mari dans le caveau de la famille Davidson dans un cimetière d’Albany, dans l’Etat de New York, non loin de l'endroit où son père, Willard Travell, a grandi.

Quelques mois avant sa mort, Janet Travell avait fait don de sa collection d’archives, lettres photographies, articles scientifiques à l’université George Washington (Washington, D.C.). L’ensemble représente 104 boîtes datées de 1922 à 1997. Cette collection est très consultée par les médecins qui s’intéressent au traitement des douleurs myofasciales.

A noter que le site de l’université de Washington consacre à cette femme exceptionnelle une exposition permanente en ligne.

 

D’après « Janet G. Travell, MD. A daughter’s recollection », par Virginia P. Wilson.

(1)   Office hours day and night. Janet G. Travell, World Publishing (New York), 1968.

Auteur

Thierry Souccar

Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr

Thierry Souccar est journaliste scientifique, rédacteur en chef de LaNutrition.fr et du e-magazine Le Monde de la Nutrition. Il a écrit 20 livres de vulgarisation sur la nutrition et la santé publique dont plusieurs best-sellers.

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