En août 2013, Joseph Elone, un adolescent de 17 ans plein de vie, originaire de la ville de Poughkeepsie dans l’Etat de New York, est décédé d’un arrêt cardiaque après avoir souffert d’un syndrome pseudo-grippal pendant 3 semaines. Il revenait d’un séjour dans un camp de vacances du Rhode Island, un Etat fortement touché par la maladie de Lyme.
Les autorités américaines ont d’abord évoqué une maladie rare et potentiellement fatale transmise par les tiques, le virus de Powassan. Mais un article publié dans l’édition de mars 2015 du journal médical Cardiovascular Pathologist montre que le jeune homme est décédé d’une myocardite (inflammation du muscle cardiaque) provoquée par la maladie de Lyme. Lors de l’autopsie, les bactéries Borrelia burgdorferi ont été identifiées dans son foie, son cœur, ses poumons et son cerveau.
Pourtant, Joseph Elone avait subi un test de dépistage de la maladie de Lyme après apparition de ses symptômes. Ce test s’appelle ELISA. Il recherche dans le sang des anticorps dirigés contre les bactéries. Il ne sert à rien de l’administrer immédiatement après une piqûre de tique car il n’y a pas encore d'anticorps. Mais une semaine après l’infection, on voit généralement apparaître les premiers anticorps (IgM), suivis des IgG une semaine environ après. Pourtant, dans de très nombreux cas, le test ELISA restera négatif, même administré à distance de l’infection, même en présence d’anticorps, et le patient rentrera chez lui faussement rassuré, sans le moindre traitement antibiotique. Les proches de Joseph Elone pensent que c’est la mésaventure tragique qui est arrivée au jeune homme et lui a coûté la vie.
Ce débat sur la fiabilité des tests est, plus près de nous, au cœur de la fermeture administrative, le 31 mai 2012, du laboratoire d’analyses de Viviane Schaller à Strasbourg, alors en pointe dans le dépistage de la maladie de Lyme - une histoire qu’elle raconte dans Maladie de Lyme, l’épidémie qu’on vous cache.
Les failles des tests
Viviane Schaller avait découvert que le test ELISA identifiait mal les malades, comme dans le cas de Joseph Elone. C’est ce qu’on appelle des faux négatifs. Pour le patient comme pour le médecin, les répercussions sont considérables. En effet, aux USA comme en France, les médecins s’appuient sur ce résultat ELISA parce que les autorités sanitaires assurent qu'il est fiable. Et ce n’est que lorsqu’il est positif qu’ils sont autorisés par la Sécurité sociale à demander en confirmation un autre test plus sensible, le Western Blot.
Viviane Schaller avait mis à jour les failles du test ELISA : il n’utilisait alors qu’une variété de borrélies (Borrelia burgdorferi américaine), alors que bien d’autres circulent en Europe (afzelii, garinii, spielmanii, bavariensis, recurentis…). Et le seuil de sensibilité était manifestement trop élevé.
Elle décide de l’abaisser : tout d’un coup, les résultats du test ELISA deviennent bien plus conformes à ceux du Western Blot, qu’elle fait souvent pratiquer en parallèle. Le nombre de faux négatifs diminue. Des patients, qui étaient en errance depuis des années, que les services d’infectiologie de l’hôpital avaient renvoyés chez eux en leur disant que « c’est dans leur tête », en évoquant une fibromyalgie ou une dépression, ont enfin la confirmation que leurs symptômes sont bien dus à la maladie de Lyme. Grâce à cette révélation, un traitement peut être mis en œuvre qui les soulagera dans de très nombreux cas. Des milliers d’échantillons venant de toute la France arrivent au laboratoire Schaller de Strasbourg. Un grand nombre sont positifs : le visage de l’épidémie se découvre.
Mais en agissant ainsi, Viviane Schaller a enfreint les protocoles en vigueur. Pis, elle s’attire l’hostilité des médecins hospitaliers, à commencer par ceux du CHU de Strasbourg. C’est de ce CHU que partira une dénonciation à l’Agence régionale de santé. Viviane Schaller est accusée de rendre 90% de faux positifs et de mettre les malades en danger.
On connaît la suite : son laboratoire est fermé pour des motifs fallacieux, et elle est traînée en justice pour « manœuvres frauduleuses ».
Contre le déni de la maladie
Lorsque Viviane Schaller m’a proposé de publier son livre, je n’ai pas hésité. Au-delà de la situation administrative absurde qui s’impose à elle et qui constitue le fil rouge de son document, elle explique en langage clair ce qu’est la maladie de Lyme, ses symptômes et son (bon) diagnostic.
Surtout, elle pointe le déni qui entoure la maladie, l’inacceptable nombre des patients infectés et ignorants de leur état, la suffisance d’un petit nombre de médecins influents, arc-boutés sur leurs certitudes, incapables de remettre en cause des pratiques qui occultent une catastrophe sanitaire d’une ampleur peut-être inégalée à l’époque moderne. Des centaines de milliers de malades sont aujourd’hui livrés à eux-mêmes ou traités pour des affections qu’ils n’ont pas ; beaucoup ont dû abandonner leur travail, certains sont dans une situation précaire. Ceux qui en ont les moyens se font traiter à l’étranger, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Tous dépendent pour leur salut de la fiabilité des diagnostics biologiques, de la formation des médecins, du statut même de la maladie de Lyme, que les associations voudraient voir inscrite dans la liste des affections de longue durée.
Il y a urgence. Tous les pays font face à une recrudescence des maladies vectorielles à tiques. Les cervidés, les sangliers, les rongeurs, mais aussi les oiseaux, les hérissons, les lézards, les chiens et les chats sont autant de réservoirs pour les bactéries. On signale des tiques porteuses de borrélies non plus seulement dans les campagnes ou les sentiers forestiers, mais aussi en périphérie des villes.
La France a pour l’instant choisi l’immobilisme : on continue à exiger un ELISA positif avant de pratiquer un Western Blot (plus sensible, mais encore imparfait). Et le caractère chronique de la maladie est toujours nié. La France a aussi choisi la répression : le 13 novembre 2014, Viviane Schaller a été condamnée à 9 mois de prison avec sursis et 280 000 euros d’amende (pour avoir pratiqué des tests Western Blot remboursés par la sécurité sociale). Elle a fait appel du jugement.