« Plein le dos » : c’est le titre d’un film-hommage au Dr John Sarno qui recueille un score record de 9,5 sur 10 parmi ceux qui l’ont vu. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas John Sarno, c’est un médecin de l'Université de New York. Pour celles et ceux qui s’étonnent d’un tel score pour un documentaire, sachez qu’à l’instar du réalisateur, des dizaines de milliers de patients considèrent que c’est grâce à lui que les douleurs, qui les faisaient parfois souffrir depuis des années ont disparu ou ont été fortement atténuées.
Le Dr John Sarno est décédé des suites d’une insuffisance cardiaque le 22 juin 2017, la veille de la sortie du film en salles, et la veille de son quatre-vingt quatorzième anniversaire.
Le parcours de ce médecin est hors normes. John Sarno a été qualifié dans le journal Forbes de "plus brillant des médecins américains, (…) un trésor national largement négligé. »
"de nombreuses douleurs chroniques ont une origine psychosomatique"
Après avoir longtemps utilisé à l’hôpital de l’université de New York tous les moyens de la médecine d’intervention (médicaments, chirurgie…) contre les maux de dos et autres douleurs chroniques non traumatiques, le Dr Sarno a acquis la conviction que la plupart de ces douleurs ont une origine psychosomatique. Délaissant le scalpel, les médicaments et même les massages, il a commencé, il y a près de 50 ans, de traiter ses patients en les amenant à accepter la base purement émotionnelle de leurs symptômes.
Selon John Sarno, toutes les douleurs chroniques ne sont bien sûr pas psychosomatiques, mais les douleurs non traumatiques qui ne sont pas soulagées par les traitements habituels sont dues à une hypoxie locale dont le cerveau est à l’origine. La douleur physique serait là pour détourner l’attention d’autres souffrances profondes d’ordre psychologique. Cette hypothèse n'a pas été confirmée, même si quelques travaux rapportent une baisse de la tension en oxygène dans des zones douloureuses (fibromyalgie).
Entre 1982 et 2006 il a publié 4 livres dont The Mindbody prescription, que nous avons traduit en français sous le titre « Le meilleur antidouleur, c’est votre cerveau ». Il y expose sa théorie et présente le syndrome qu’il a baptisé TMS (Tension Myositis Syndrome) et auquel il attribue de nombreuses douleurs dorsales, mais aussi cervicales. Plus tard il a étendu le TMS à certains troubles gastro-intestinaux, à des problèmes de peau, des douleurs musculo-squelettiques.
Ses livres ont d’abord suscité la curiosité. Puis, les témoignages de patients guéris ou soulagés s’accumulant, le bouche à oreille a fait le reste : plus d'un million d'exemplaires de ses ouvrages ont été vendus.
Au cours des 50 dernières années, John Sarno estime avoir directement soigné et soulagé plus de 10 000 patients dont des célébrités comme Anne Bancroft ou Howard Stern qui ne tarissent pas d’éloges sur lui. Au total, ce sont des dizaines de milliers de lecteurs de ses livres qui disent lui devoir leur santé retrouvée.
Selon John Sarno, la plupart des patients sont améliorés simplement en acceptant la dimension psychosomatique de la douleur ; d'autres se rétablissent en tenant un journal ; dans un petit nombre de cas, une psychothérapie est nécessaire.
LA science avance lentement
John Sarno a, dans ses livres, rapporté ses résultats sur deux cohortes de patients. Sur 177 patients traités au cours des années 1980 à 1982, 76% ont déclaré qu’ils vivaient dorénavant sans douleur. Une seconde collection de cas en 1987 a porté sur 109 patients sélectionnés au hasard, qui se plaignaient de douleurs du dos et dont les scanners avaient révélé des hernies discales : 88% ne souffraient plus après avoir été traité par le Dr Sarno 1 à 3 ans plus tôt.
Alors que ses idées sont adoptées et mises en pratique par de nombreux médecins américains, une partie du corps médical les a toujours rejetées, estimant qu’il est abusif de prétendre que des facteurs émotionnels puissent être à l’origine de la douleur.
Le Dr Eric Sherman, un psychothérapeute qui a travaillé avec le Dr Sarno pendant de nombreuses années, a raconté dans le New York Times comment les collègues du Dr Sarno à l’université de New-York médisaient sur son compte à l'heure du déjeuner, alors que les mêmes le consultaient en privé pour qu’il les aide à aller mieux.
« C'était lui contre le reste du monde, mais cela ne le gênait pas », dit le Dr Sherman. « Il se fichait bien de ceux qui crachaient sur son travail, et était indifférent à l'opinion qu’on avait de lui. » John Sarno considérait que le rétablissement de ses patients et de ses lecteurs prouvait la justesse de ses théories sur les origines de la douleur.
On peut comprendre l'attitude du corps médical dans la mesure où aucune étude contrôlée n’a été conduite pour confirmer l’approche du Dr Sarno. Cela ne signifie pas que le dossier scientifique est vide, mais que la preuve formelle de l'efficacité de l'approche défendue par John Sarno n'a pas été apportée.
En 2007, le Dr David Schechter a publié une étude sur une cohorte de 51 patients souffrant de douleurs chroniques du dos depuis 9 ans en moyenne. Le traitement du Dr Sarno a conduit à une diminution de 52% du niveau moyen de leurs douleurs.
L’idée avancée par John Sarno qu’il n'y a pas de corrélation entre les hernies discales et les douleurs chroniques du dos a été confirmée, notamment par une étude publiée dans le New England Journal of Medicine. D’autres travaux ont conclu que les personnes qui ont le plus de risque de développer des douleurs dorsales sont aussi les plus exposées à des stress psychologiques parmi lesquels dépression et anxiété. Si les spécialistes considèrent aujourd'hui que John Sarno a joué un rôle pionnier dans la découverte de ce lien corps-esprit, ils estiment qu'il en a probablement exagéré l'ampleur : sa méthode, qui s'apparente aux thérapies cognitives et comportementales, ne soulagerait qu'une partie des patients. Quant au rôle du cerveau et du système nerveux central, s'il est bien réel, il s'exercerait notamment par des neurotransmetteurs, la piste de l'hypoxie n'ayant pas été confirmée.
"VOUS MÉRITEZ LE PRIX NOBEL"
Le film All the rage rend hommage à ce médecin iconoclaste, qui vouait à ses patients une affection réelle, que ceux-ci lui rendaient bien. Sur sa table de salon, il y avait un album épais avec le titre "Thank You Dr Sarno" qui lui avait été offert par des membres du forum de discussion entre patients TMS Wiki. On pouvait y lire les récits de dizaines de patients, qui après des années de douleur avaient découvert ses livres et y avaient trouvé la solution à leurs maux ; certains avaient posté des photos récentes d'eux-mêmes en train de courir des marathons ou de faire de l’escalade.
"Depuis 1982, j'ai utilisé vos livres pour aider près d'une centaine d'amis et de connaissances", écrit un ancien patient. "Dans un monde juste, vous auriez le prix Nobel de médecine."