L’entraînement polarisé : pourquoi et comment ?

L’entraînement polarisé : pourquoi et comment ?

Vous savez probablement que les séances en endurance mais aussi les séances à haute intensité (notamment grâce au fractionné) sont indispensables et complémentaires à la progression. Il existe une synergie entre ces séances puisqu’elles permettent d’obtenir des adaptations physiologiques différentes et complémentaires.

Lors d’un article précédent (Et si vous testiez l'entraînement par blocs ?), nous avions déjà abordé la planification par blocs en opposition à la planification ondulatoire plus classique (celle que nombreux d’entre nous utilisent, celle que l’on trouve par exemple dans les plans « marathon » les plus classiques).

Si la planification par blocs et la planification ondulatoire abordent surtout le problème de la répartition hebdomadaire des séances, il est aussi possible d’aborder la planification de l’entraînement de façon plus globale. C’est dans ce domaine de la globalité que la « polarisation » de l’entraînement intervient. Il s’agit de trouver l’équilibre le plus adapté à la performance dans la répartition des intensités d’entraînement.

Cette idée de polarisation de l’entraînement part de l’analyse de la planification de l’entraînement des meilleurs athlètes (marathoniens et triathlètes) mais aussi de l’observation de la réalité de l’entraînement de la plupart des sportifs d’endurance.

Les intensités d'exercice

Avant tout accordons-nous sur la classification des intensités. Plusieurs modèles de classification des intensités des exercices d'endurance existent. Le plus fréquemment, la répartition des intensités se fait selon un modèle à 5 zones. Mais pour simplifier et mieux comprendre l'entraînement polarisé, un modèle à 3 zones d'intensités est utilisé (2).

Un exemple de modèle à 5 zones :

Zone 1 : 45-65% de VO2 max, 55-75% de FC max

Zone 2: 66-80% de VO2 max, 75-85% de FC max

Zone 3 : 81-87% de VO2 max,  85-90% de FC max

Zone 4: 88-93% de VO2 max, 90-95% de FC max

Zone 5: 94-100% de VO2 max, 95-100% de FC max

Un exemple de modèle à 3 zones :

Zone 1 : en dessous du seuil aérobie (correspondant approximativement aux zones 1 et 2 du modèle à 5 zones)

Zone 2 : entre les deux seuils (zone correspondant approximativement à la zone 3 du modèle à 5 zones)

Zone : 3 au dessus du seuil anaérobie (correspondant approximativement aux zones 4 et 5 du modèle à 5 zones)

Bien sûr, il ne s'agit que de deux classifications possibles. De plus, cette échelle ne tient pas compte des variabilités individuelles. Idéalement, il faudrait établir ces intensités après des mesures lors d'épreuves d'effort, ce dont ne tient pas compte la répartition en 5 zones proposée ici (mais qui a l'avantage de pouvoir être utilisée par tous, même si nous n'avons pas accès à une plate-forme).

Pour la suite de cet article, nous allons utiliser le modèle à 3 zones.

L'intensité "trou noir" de l'entraînement en endurance

L’observation et l’analyse de l’entraînement de sportifs d’endurance (surtout de sportifs amateurs) met parfois (et même souvent) en évidence une différence entre les intensités auxquelles sont réellement réalisées les séances et les intensités auxquelles elles étaient planifiées (1). En effet, on peut parfois remarquer que les séances programmées pour être faites en endurance (avec des intensités devant être comprises entre 60 et 80% de la FC max) dérivent souvent vers une intensité plus élevée, en zone 2 (proche du seuil). L'effort semblant facile, le sportif accélère en pensant qu'en allant un peu plus vite il progressera encore plus. Cependant, des adaptations physiologiques se réalisent à faible intensité et pas nécessairement si l’intensité de l’effort augmente. Malheureusement, la séance ayant été réalisée à une intensité trop élevée, une fatigue excessive risque d’apparaître. Et cette fatigue va gêner la réalisation des séances suivantes. Si les séances suivantes sont des séances d’intensité maximale (travail de VMA par exemple), l’intensité de la séance risque d’être difficile à tenir au risque de voir l’intensité se rapprocher du seuil encore une fois. Les objectifs de la séance ne seront donc pas atteints et les adaptations physiologiques recherchées ne seront donc pas obtenues.

Pour imager cela, Stephen Seiler parle de « trou noir » (2). L’intensité « trou noir » est celle vers laquelle toutes les séances se rapprochent, une intensité en zone 2. Comme nous venons de le voir, pour de nombreux sportifs les séances en endurance vont se rapprocher de cette intensité et les séances à haute intensité auront du mal à dépasser l’intensité du seuil et à atteindre les intensités voulues.

Comment s’entraînent les meilleurs sportifs d’endurance ?

L’observation de quelques sportifs d'endurance de très haut niveau met en évidence une répartition particulière des séances d’entraînement. Si une partie de l’entraînement est réalisée à haute (voire très haute) intensité, la plupart des séances sont réalisées en endurance fondamentale (et réellement en endurance fondamentale). Ce type de répartition de l’entraînement a pu être observé chez des nageurs (77 % de leur kilométrage en zone 1), des coureurs de fond (71 % de leur temps d'entraînement en zone 1, 21 % en zone 2 et 8 % en zone 3), des marathoniens (notamment des Kényans qui réalisaient 85 % de leur kilométrage en zone 1, ou bien des Européens qui réalisaient 78 % de leur kilométrage en zone 1, 4 % en zone 2 (pourtant leur vitesse marathon !) et 18 % en zone 3), des skieurs de fond et des rameurs (entraînement majoritairement en zone 1 et pas d'entraînement en zone2 avec 4 à 10 % en zone 3)(2). Dans la plupart des cas, la répartition approche 80% de l’entraînement en endurance (zone 1) et 20% de l’entraînement à haute intensité (5% en zone 2 et 15 % en zone 3).

Cette répartition avec deux principaux types d’intensité, deux intensités extrêmes, deux pôles d’intensité (endurance et haute intensité) est dite « polarisée ». La synergie de ces deux types de entre ces deux types de séances se fait car les efforts en endurance permettront de maximiser les adaptations périphériques alors que l'entraînement à haute intensité permettra des adaptations centrales (cardiaques notamment). 

Cette polarisation de l’entraînement prend en compte cette notion de "trou noir" et cherche à limiter la dérive des séances vers cette intensité.

En conclusion, les séances en endurance sont indispensables et méritent leur place en tant que base de l’entraînement mais l’intensité doit être contrôlée afin d’éviter une dérive pouvant mener à une altération de l’enchaînement des séances. Les séances à haute intensité sont, elles aussi, indispensables à la performance mais pour cela il faut les réaliser réellement à une intensité permettant les adaptations physiologiques recherchées. Lors de vos séances en endurance, utilisez donc un cardiofréquencemètre pour contrôler ce que vous faites ! Écoutez donc votre coach, ou si vous n'avez pas de coach suivez bien le plan d'entraînement que vous avez construit vous-même ou trouvé sur un magazine par exemple.

(1) Foster C, Heimann KM, Esten PL, Brice G, Porcari J. Differences in perceptions of training by coaches and athletes. South African Journal Of Sports Médecine 8, 3-7.

(2) Seiler S, Tønnessen E. Intervals, Thresholds, and Long Slow Distance:  the Role of Intensity and Duration in Endurance Training. Sportscience 13, 32-53, 2009.

Auteur

Fabrice Kuhn

Médecin généraliste, médecin du sport

Fabrice Kuhn est médecin du sport, rédacteur pour "Jogging International", auteur et conférencier. Athlète accompli, il est finisher des championnats du monde Ironman à Hawaii et du marathon des sables. Enseignant au DU d’expertise en course à pied de l’université de Poitiers, il a également été le médecin de l’équipe de France d’haltérophilie.

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