Polarisation de l'entraînement : effets sur la performance

Polarisation de l'entraînement : effets sur la performance

Nous avons vu dans un article précédent (entraînement polarisé: pourquoi et comment ?) ce qu'était l'entraînement polarisé. En rappel bref, l'entraînement polarisé consiste à répartir l'entraînement selon deux pôles. Un pôle à basse intensité (zone 1) occupant 80% de l'entraînement et un pôle à haute intensité occupant les 20 % restant (5 % en zone 2 et 15% en zone 3). Rappelons les trois zones utilisées dans notre article : zone 1 en dessous du seuil aérobie, zone 2 entre les deux seuils et zone 3 au-dessus du seuil anaérobie.

Voyons maintenant ce que les études nous apprennent sur les effets d'une telle répartition de l'entraînement sur les performances en endurance.

Le cas des sportifs de haut niveau

Une étude parue en février 2014 (5) a analysé les résultats de quatre types d’entraînement sur les indices de performance en endurance (VO2max, vitesse au seuil, économie de travail, vitesse ou puissance maximale et temps de fatigue). Pour cela 48 sportifs d’endurance (coureurs, cyclistes, triathlètes et skieurs de fond) bien entraînés (VO2max : 62.6 mL/min/kg de moyenne) et expérimentés (au moins 8 ans de pratique) ont suivi, durant 9 semaines, soit un entraînement à haut volume et faible intensité (HVT), soit un entraînement au seuil (THR), soit un entraînement à haute intensité (HIIT), soit un entraînement polarisé (POL).

  • L’entraînement HVT consistait en 3 blocs de 3 semaines (2 semaines de haut volume suivies de 1 semaine de récupération). Les semaines de haut volume comprenaient six séances d’entraînement dont deux séances de 90 min à faible intensité, deux séances de 150 à 240 min (durée en fonction du sport pratiqué) et une séance de 60 min avec du fractionné au seuil (5x7mn avec 2 min de récupération ou 3x15 min avec 3 min de récupération). La semaine de repos se composait de trois séances à faible intensité, deux séances de 90 min et une séance de 150 à 180 min. Au total, les sportifs passaient 83 % du temps à basse intensité, 16 % au seuil et 1 % à haute intensité.
  • L’entraînement THR consistait en 3 blocs de 3 semaines (2 semaines de haut volume suivies de 1 semaine de récupération). Les semaines intenses se composaient de six séances dont deux séances de 60 min avec du travail au seuil (5x6 min avec 2 min de récupération lors du premier bloc, 6x7mn lors du deuxième bloc ou 6x 8mn lors du troisième bloc), une séance de 90 min avec du travail au seuil (3x15 min avec 3 min de récupération puis 3x20 min sur les deux derniers blocs), une séance de 75 min de fartlek et deux dernières séances de 90 min à faible intensité. Les semaines de récupération se composaient d'une séance de 60 min à faible intensité et de deux séances de travail au seuil (5x6mn avec 2 min de récupération). Au total, les sportifs passaient 46 % du temps à basse intensité, 54 % au seuil et 0 % à haute intensité.
  • L'entraînement HIIT consistait en 2 blocs de 16 jours avec au préalable une semaine d'adaptation et une semaine de récupération après chaque bloc. La semaine d'adaptation consistait en deux séances HIIT de 60 min, trois séances de 90 min à basse intensité et une séance de 90 min à basse intensité. Les blocs de 16 jours se composaient de 4 blocs de 4 jours ( trois jours avec une séance HIIT de 60 min et un jour de repos). Les semaines de récupération se composaient de quatre séances de 60 min à faible intensité. Les séances HIIT se composaient de 20 min d'échauffement et 4x4 min entre 90 et 95% de FC max avec 3 min de récupération entre chaque effort suivis de 15 min de retour au calme. Au total, les sportifs passaient 43 % du temps à basse intensité, 0 % au seuil et 57 % à haute intensité.
  • L'entraînement POL consistait en 3 blocs de 3 semaines (deux semaines d'intensité et une semaine de récupération). Les semaines d'intensité contenaient deux séances HIIT de 60 min, deux séances à basse intensité de 150 à 240 min en fonction du sport pratiqué avec 6 à 8 sprints de 5 secondes à vitesse maximale distant d'au moins 20 min et deux dernières séances de 90 min à faible intensité. La semaine de récupération se composait d'une séance HIIT de 60 min, d'une séance de 120 à 180 min à basse intensité et d'une séance de 90 min à basse intensité. Au total, les sportifs passaient 68 % du temps à basse intensité, 6 % au seuil et 26 % à haute intensité.

Grâce à l'analyse des résultats des épreuves tests réalisées avant et après intervention, les chercheurs constatent une amélioration de 11.7% en moyenne de la VO2max (en mL/kg/min) dans le groupe POL, de 4.8 % dans le groupe HIIT, de 2.6% dans le groupe HVT et une baisse de 4.1% dans le groupe THR. Aucune modification significative du seuil de lactate, ni de la FC max n'est observée. Seuls le groupe HIIT et le groupe THR ont vu leur économie d'exercice améliorée (6.7% pour le groupe HIIT et 2.7% pour le groupe THR). En ce qui concerne le temps d'effort jusqu'à épuisement, le groupe POL a amélioré son temps de 17% et le groupe HIIT de 8.8%. Les deux autres groupes ont amélioré leurs temps mais de façon non significative. Les vitesses aux seuils sont améliorées dans le groupe HIIT (au seuil aérobie (12.1%) et au seuil anaérobie (5.6%)) et dans le groupe POL (au seuil anaérobie seulement (8.1%)) et pas dans les deux autres groupes.

Finalement, c'est donc le groupe POL qui a le plus profité de ces 9 semaines pour améliorer ses paramètres physiologiques de la performance.

Une étude plus ancienne s'est intéressée à des coureurs (5000 m à 12 km) sub-élite (1). Pour cela, douze coureurs ont étés répartis au hasard en deux groupes. Après un test, les coureurs suivaient une période de 5 mois d'entraînement durant laquelle les fréquences cardiaques étaient enregistrées. La différence entre les groupes était le temps passés en zones 1 et 2. Le temps passé en zone 3 était identique. Au total le groupe Z1 devait passer 80 % du temps en zone 1, 10 % en zone 2 et 10 % en zone 3. Le groupe Z2 devait, lui, y passer respectivement 65 %, 25 % et 10 % du temps. L'entraînement se déroulait en trois périodes. Une première période de dix semaines réalisée en zone 1 mais avec de la musculation et des séances de fractionné. La deuxième période, la période spécifique, maintenait la musculation. La troisième période, celle des compétitions,  incluait une séance hebdomadaire de fractionné avec des longs efforts à vitesse plus élevée que celle envisagée pour les compétitions et une séance hebdomadaire de musculation. A la fin des 18 semaines d'intervention le groupe Z1 avait suivi une répartition des intensités d'effort mesurée à 80.5/11.8/8.3% (respectivement zone 1, 2 et 3) alors que le groupe Z2 on mesurait 66.8/24.7/8.5%. L'efficacité du protocole était mesurée grâce à une performance sur 10.4 km de cross country courue avant et après l'intervention. Les deux groupes ont vu leurs performances moyennes améliorées grâce à l'entraînement et l'amélioration de performances était significativement plus élevée dans le groupe Z1 (donc proche de l'entraînement polarisé) avec 157 secondes gagnées par le groupe Z1 contre 121 secondes gagnées par le groupe Z2.

Le temps passé en zone 1 était donc plus profitable que le temps passé en zone 2.

Le cas des sportifs amateurs

Une étude publiée en 2014 (3) s'est intéressée aux performances sur 10 km de trente coureurs de fond amateurs mais ayant en moyenne plus de 5 ans ½ d'expérience. Des tests initiaux ont étés réalisés afin de mesurer les paramètres physiologiques permettant, ainsi, d'établir précisément les intensités d'entraînement selon le modèle en 3 zones. Les coureurs étaient répartis au hasard en deux groupes. Le groupe PET suivait un entraînement polarisé (77 % en zone 1, 3 % en zone 2 et 20 % en zone 3) et le groupe BThET suivait un entraînement entre les deux seuils (46 % en zone 1, 35 % en zone 2 et 19 % en zone 3). Remarquons que le temps passé en zone 3 était le même pour les deux groupes alors que la différence se faisait sur le temps passé en zones 1 et 2. Le programme commençait par huit semaines préparatoires identiques pour les deux groupes (100 % du temps en zone 1 durant trois semaines puis 88/5/7 % (temps passé respectivement en zone 1, 2 et 3) jusqu'à 54/27/19 % progressivement de la semaine 4 à 7 et enfin 78/14/8 % durant la dernière semaine). Après cela les athlètes subissaient des tests avant de poursuivre des entraînements différenciés durant dix semaines dont six semaines d'intervention spécifique (deux cycles de trois semaines composés de deux semaines intenses et d'une de récupération). Le s deux groupes réalisaient deux séances intenses par semaine (zone 3) et une à deux séances de musculation par semaine, le reste étant réalisé en zone 1 ou zone 2 en fonction du groupe pour atteindre cinq à six séances hebdomadaires et un kilométrage entre 50 et 70 km/semaine. A la fin du programme la charge d'entraînement totale était la même.

Finalement les deux groupes amélioraient leur temps sur 10 km en passant de 39min18 sec en moyenne avant l'intervention à 37min19 après intervention pour le groupe PET alors que le groupe BThET passait de 39min24 sec à 38min 0 sec. Une amélioration significative dans les deux groupes. Bien que le groupe PET ait amélioré son temps moyen de 5 % et le groupe BThET de 3.5 %, la différence entre les deux groupes n'est pas significative. Cependant, en ne gardant pour les analyses statistiques que les athlètes ayant respecté scrupuleusement la programmation, la différence entre les deux protocoles devient significative.

En conclusion, l'entraînement polarisé peut aussi profiter aux sportifs amateurs. Qui plus est, cette étude confirme que les athlètes ne respectent pas toujours le plan d'entraînement (et sombre parfois dans l'intensité "trou noir") et que le fait de respecter mieux le plan pourrait les amener à progresser davantage.

Une autre étude des mêmes auteurs parue, elle aussi, en 2014 a examiné le cas de neuf triathlètes longue distance (2). Tous étaient expérimentés (environ 8 années) et préparaient l'Ironman de Klagenfurt en Autriche. Après une période hivernale de 25 semaines identiques pour tous (deux séances de course, deux séances de natation et une séance de vélo par semaine), les athlètes suivaient 2 semaines de transition avant poursuivre par 18 semaines spécifiques. Les triathlètes suivaient en plus un programme de musculation (une séance hebdomadaire). Ils étaient testés avant sur une épreuve d'effort deux semaines avant de démarrer le programme de 18 semaines. Grâce à cette épreuve d'effort, les intensités d'effort étaient définies pour l'entraînement en fonction du modèle à 3 zones. L'entraînement se répartissait globalement avec 68 % du temps en zone 1, 28% en zone 2 et 4% en zone 3. En compétition, la majorité du temps se passait en zone 2 (58%) contre 38 % en zone 1 et 4 % en zone 3. Les résultats en compétition étaient analysés conjointement avec les différentes données recueillies lors des entraînements. Si le temps mis pour finir l'ironman était inversement corrélé à la durée totale d'entraînement, elle ne l'était pas à la charge totale de l'entraînement (charge d'entraînement = temps en minute passé en zone 1 x1+ temps passé en minute en zone 2 x2 + temps passé en zone 3 x3). Par contre, il existait une corrélation négative entre le temps total passé en zone 1 à l'entraînement (y compris en pourcentage et en charge d'entraînement) et le temps mis pour l'épreuve.. De plus, il existait une corrélation positive entre le temps total passé en zone 2 à l'entraînement (et le pourcentage de l'entraînement réalisé en zone 2) et le temps mis pour finir l'épreuve. Il a été remarqué lors de cette étude que, fréquemment, les triathlètes devant réaliser des sessions en zone 1 déviaient vers la zone 2 (notamment à vélo). Encore le "trou noir" en action !

Bien que cette étude n'ait pas eu une approche strictement polarisée, elle rappelle que l'entraînement en zone 1 est fondamental. Trop de travail en zone 2 pourrait aussi avoir un impact négatif sur la performance. Elle met aussi en évidence la dérive de la zone 1 vers la zone 2 dont nous avions parlé auparavant (le "trou noir").

En 2013, une équipe s'est intéressée à douze cyclistes bien entraînés (4). Ils s'entraînaient habituellement quatre à cinq fois par semaine pour des durées comprises entre 5 et 10 heures par semaine avec une moyenne de 5 à 8 heures par semaine. Avant l'intervention, la distribution de leur entraînement était de 53 % en zone 1, 38 % en zone 2 et 9 % en zone 3. Après une épreuve d'effort, ils suivaient une période de 4 semaines de désentraînement. Puis, six cyclistes étaient intégrés au groupe POL (pour polarized training) et les six autres cyclistes au groupe THR (pour seuil). Durant six semaines, le groupe POL suivait une distribution de 80/0/20 (80 % en zone 1, 0 % en zone 2 et 20 en zone 3) alors que le groupe THR suivait une répartition 57/43/0. Après cela, les cyclistes pratiquaient à nouveau des tests. Ils poursuivaient par une période de quatre semaines de désentraînement avant de subir à nouveau des tests. Enfin, ils continuaient par six nouvelles semaines d'entraînement POL ou THR mais en intervertissant les groupes. A l'issue des ces six dernières semaines des tests étaient à nouveau réalisés.

Lors des deux blocs de six semaines d'intervention spécifique, les cyclistes allaient s’entraîner trois fois par semaine en laboratoire selon des sessions programmées. Les sessions POL consistaient en 6 x4 min en zone 3 avec 2 min de récupération. Les sessions THR consistaient en 60 min en zone 2.

A la fin des blocs de six semaines, la durée totale d'entraînement était plus élevée dans les groupes THR. Seul l'entraînement polarisé permettait d'améliorer significativement le seuil de lactate et la puissance maximale à l'issu des six semaines d'intervention. Les deux modèles d'entraînement amélioraient de façon significative la performance sur 40 km de contre-la-montre. Bien que le groupe POL ait diminué son temps de 2.3 min et le groupe THR seulement de 0.4 min, la différence entre les deux groupes ne fut pas significative.

En conclusion

  • Le modèle polarisé se révèle donc performant quel que soit le niveau de pratique.
  • N'oubliez donc pas vos séances en endurance (zone 1 sur le modèle à 3 zones et zones 1-2 sur le modèle à 5 zones). Ces séances sont fondamentales même si votre vitesse de course est plus élevée. Ne vous laissez pas emporter par votre élan lors de ces séances et maintenez bien votre effort dans cette zone sans aller au-delà. En dépassant l'intensité d'effort, vous n'auriez rien à gagner et beaucoup à perdre. Utilisez donc un cardiofréquencemètre.
  • Lorsque vous utilisez un cardiofréquencemètre, méfiez-vous tout de même car lors des efforts à haute intensité l'élévation de la fréquence cardiaque se fait avec un temps de retard. C’est pourquoi il est intéressant de travailler soit en pourcentage de VMA (pour la course à pied) soit en pourcentage de PMA (à vélo) (notamment lors des efforts courts).

Sources

(1) Esteve-Lanao J1, Foster C, Seiler S, Lucia A. Impact of training intensity distribution on performance in endurance athletes.  Strength Cond Res. 2007 Aug;21(3):943-9.

(2) Muñoz I, Cejuela R, Seiler S, Larumbe E, Esteve-Lanao J. Training-intensity distribution during an ironman season: relationship with competition performance. Int J Sports Physiol Perform. 2014 Mar;9(2):332-9.

(3) Muñoz I, Seiler S, Bautista J, España J, Larumbe E, Esteve-Lanao J. Does polarized training improve performance in recreational runners? Int J Sports Physiol Perform. 2014 Mar;9(2):265-72.

(4) Neal CM, Hunter AM, Brennan L, O'Sullivan A, Hamilton DL, De Vito G, Galloway SD. Six weeks of a polarized training-intensity distribution leads to greater physiological and performance adaptations than a threshold model in trained cyclists. J Appl Physiol (1985). 2013 Feb 15;114(4):461-71.

(5) Stöggl T, Sperlich B. Polarized training has greater impact on key endurance variables than threshold, high intensity, or high volume training. Front Physiol. 2014 Feb 4;5:33.

 

Auteur

Fabrice Kuhn

Médecin généraliste, médecin du sport

Fabrice Kuhn est médecin du sport, rédacteur pour "Jogging International", auteur et conférencier. Athlète accompli, il est finisher des championnats du monde Ironman à Hawaii et du marathon des sables. Enseignant au DU d’expertise en course à pied de l’université de Poitiers, il a également été le médecin de l’équipe de France d’haltérophilie.

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