"Train low, compete high"

"Train low, compete high"

Diminuer les glucides disponibles pour les muscles lors de l'entraînement pourrait permettre des adaptations métaboliques favorables à l'endurance via une modification de l'expression de certains gènes. Ce type d'entraînement pourrait ainsi favoriser la formation de mitochondries et la consommation de lipides à l'effort (3).

Les deux façons de réduire les glucides disponibles

On peut intervenir soit en diminuant la quantité de glucides qui sera amenée aux muscles durant l'effort soit en diminuant les réserves glucidiques intra musculaires (glycogène).

Dans ce but et sans préjuger de leur efficacité, on peut avoir un régime pauvre en glucides au quotidien, s'entraîner à jeun, s'entraîner sans apport de glucides durant l'effort, ne pas consommer de glucides durant plusieurs heures après l'effort afin de prolonger le stimulus dû à la baisse de glycogène ou encore s'entraîner deux fois par jour sans compenser la dépense glucidique de la première séance.

Toutes ces méthodes agissent différemment. Ainsi, un régime pauvre en glucides type "low carb" diminue à la fois les apports glucidiques et les réserves glycogéniques. S'entraîner à jeun ou sans apporter de glucides à l'effort réduit uniquement les apports exogènes de glucides pour les muscles durant l'effort. S'entraîner deux fois par jour sans compenser la dépense glucidique après la première séance de façon à ce que la deuxième séance soit réalisée en déficit musculaire de glycogène diminue à la fois les apports de glucides et les stocks de glycogène (3). "Train low, compete high" est l'appellation de cette manipulation nutritionnelle où certains entraînements sont réalisés avec de faibles réserves glucidiques (low) tandis que les compétitions sont réalisées avec des réserves glucidiques élevées (high). "Train low, compete high" pour "s'entraîner à niveau glucidique bas et concourir à niveau glucidique élevé ".

Entraînement biquotidien

Dans cet article nous allons nous intéresser cette dernière méthode proposée à savoir l'entraînement biquotidien sans compensation glucidique entre les deux séances. Quelques études récentes ont expérimenté cette méthode que j'ai testée récemment avec succès et qui est facilement utilisable. Cette méthode consiste à puiser suffisamment dans les réserves de glycogène lors de la première séance de la journée sans compenser ensuite ces dépenses glucidiques afin de débuter la deuxième séance avec un stock de glycogène abaissé (en général de moitié).

Quels bénéfices physiologiques ?

La séance réalisée en déplétion glycogénique (et surtout sa répétition) va favoriser des adaptations métaboliques. En effet, certains facteurs transcriptionnels (la transcription c'est la production d'ARN à partir de l'ADN) ont des sites de liaison avec le glycogène. Quand le taux de glycogène intramusculaire baisse, ces facteurs transcriptionnels sont libérés et peuvent s'associer avec certaines protéines. Parmi les protéines activées lors de la baisse du glycogène intramusculaire figurent AMPK et MAPK. AMPK et MAPK sont impliquées dans la biogénèse mitochondriale : accroissement du nombre de mitochondries, renforcement de l'activité des mitochondries, majoration des protéines mitochondriales) (3).

Rappelons que les mitochondries sont les centrales énergétiques de nos cellules (la production d'énergie (ATP) via la consommation de glucides et de lipides se fait par l'intermédiaire du cycle de Krebs situé dans les mitochondries). L'entraînement avec peu de glucides disponibles permet aussi d'accroître plusieurs enzymes mitochondriales du cycle de Krebs liées à l'oxydation des lipides (3, 6, 7, 9). Récemment, les chercheurs ont identifié le rôle stimulant sur la biogénèse mitochondriale qu'exerce une protéine connue pour son action anti tumorale, la p53. Cette protéine p53 est, elle aussi, stimulée lorsqu’on a un faible niveau de glycogène intramusculaire (1, 4).

En conséquence de ces modifications biochimiques, on observe une amélioration du métabolisme intramusculaire avec une majoration de la consommation de lipides à l'effort (6, 7, 9). De plus, les stocks intramusculaires de glycogène au repos peuvent être accrus (9).

Quels bénéfices sur les performances ?

Elévation des capacités mitochondriales, accroissement de la consommation des lipides et majoration des stocks glycogéniques au repos sont trois facteurs qui, en théorie, permettent d'améliorer les performances en endurance.

Bien que les effets sur le métabolisme soient clairs, les effets sur la performance le sont moins. Cependant, aucune baisse des performances n'a été retrouvée malgré le plus faible temps passé à haute intensité chez les sportifs ayant réalisé des séances en déplétion glycogénique (3).  En effet, la progression des performances (mesurée en contre la montre à vélo sur 1 h) est comparable que les groupes aient réalisé toutes leurs séances d'entraînement avec des apports normaux en glucides ou qu'ils aient intégré des séances en déplétion glycogénique (6, 9).

Les chercheurs évoquent plusieurs hypothèses pour expliquer cette absence d’effet. Il est possible que les marqueurs utilisés ne soient pas suffisamment liés à la performance. Il est possible également que ce type de manipulation ait eu des effets adverses limitant la progression. Dernière hypothèse : sommes-nous capables de mesurer suffisamment précisément des gains de performances lors des tests alors qu'ils pourraient être significatifs en compétition ? (3).

Ajoutons que les tests de performance ont été réalisés en contre-la-montre de 1 h et que c'est loin d'être la réalité du terrain où l'objectif est une distance à parcourir. D’autres questions se posent alors : 1 h est un temps assez court pour une épreuve d'endurance, la progression serait-elle meilleure sur une distance plus longue ? Les tests ont été réalisés après 3 semaines d'intervention, est-ce suffisant pour remanier suffisamment le métabolisme et voir une réelle différence sur les performances ? Enfin, après 3 semaines d'entraînement intense et l'enchainement rapproché de nombreuses séances d'entrainement en  "low glycogen", est-ce que l’on ne frôle pas le surentraînement ce qui altérerait les performances lors du test final ?

Attendons de voir les résultats des prochaines études sur ce sujet.

Quels bénéfices pour les sportifs d'endurance ?

On voit que ces études suggèrent une meilleure gestion des glucides à l'effort,  une majoration des réserves glycogéniques musculaires et une meilleure utilisation des lipides. Tout cela laisse penser que l'on pourrait retarder l'apparition de la fatigue lors des efforts longs. En raison de la moindre dépendance aux glucides consécutive à ce type de manipulation nutritionnelle, on pourrait diminuer les besoins en glucides lors des compétitions (et donc le risque de troubles digestifs dus à l'ingestion des glucides à l'effort) (3). Par ailleurs, une meilleure gestion des lipides et une consommation accrue de lipides pourrait aider à mieux gérer le poids.

La théorie est séduisante mais attention…

Plusieurs effets adverses à ce type d'entraînement sont possibles.

Tout d'abord, notez que lors des séances de haute intensité réalisées en état de déplétion glycogénique, les sportifs ont éprouvé plus de difficultés au point de devoir réduire le temps d’entraînement à haute intensité. Ce moindre temps passé à haute intensité serait-il la cause de l'absence d'effet constaté sur les performances ?

De plus, un entraînement intense et/ou prolongé en état de déplétion glycogénique pourrait diminuer les défenses immunitaires et favoriser des infections (2).

En outre, l'enchaînement de séances "low glycogen" pourrait contribuer à une fonte musculaire. En effet, lors de telles séances, la balance protéique musculaire pourrait être déficitaire par défaut de synthèse menant à la longue à une fonte musculaire (5). Heureusement, il semblerait que l'apport de protéines avant, durant et après un effort en déplétion glucidique ne limite pas les adaptations biochimiques espérées. C'est ce que suggère une étude montrant que l'apport de protéines ne limite pas la majoration de l'AMPK après entraînement en déplétion glycogénique (8).

Enfin, sachez que pour profiter pleinement des glucides en compétition, il est judicieux de conserver des séances d'entraînement avec ingestion de glucides de façon à ne pas freiner la chaîne oxydative des glucides (2).

Mise en pratique

Si vous êtes convaincus que les bienfaits physiologiques peuvent vous être bénéfiques malgré l'absence de preuves sur les performances, et/ou si vous voulez varier un peu vos séances voilà comment mettre en place ces manipulations nutritionnelles.

A réaliser de temps en temps, voire une fois par semaine et à débuter progressivement à distance des compétitions.

  • Sur une journée

Première séance : 60 min de course à pied à 70 % VO2max ou 100 min de vélo à 70 % de VO2 max (permet de consommer 60 % du glycogène musculaire chez des cyclistes entraînés). Sans apport de glucides durant l'effort de façon à consommer du glycogène.

Ration de récupération sans glucides mais avec 20 à 25 g de protéines (œuf ou jambon par exemple).

Un café ou un thé pour un apport en caféine permettant de mieux maintenir l'intensité de la séance à venir (2).

Un peu de repos afin d'être le plus frais possible pour la séance suivante.

Deuxième séance : 1 h à 70 % VO2 max ou fractionné (entre 85 et 100 % de VO2max) sans apport glucidique mais éventuellement avec rinçage de bouche avec boisson glucidique (cela permet de maintenir plus longtemps l'intensité de la séance sans apporter de glucides) (2). Attention cette séance ne sera pas aussi intense et prolongée que celles réalisées en état glycogénique "normal".

Une ration de récupération riche en glucides et en protéines.

Une autre solution pourrait être de réaliser du fractionné en première séance et 1 h à 70 % VO2max en deuxième séance.

  • Sur deux jours

Cette méthode alternative, aussi appelée "sleep low, train low", permet de cumuler plusieurs avantages en combinant ceux d'un entraînement à jeun, ceux d'un entraînement avec recharge glucidique reportée et ceux de la séquence plus classique sur un jour (Bartlett 2014). A manier avec précaution !!!

Première séance : Le soir, fractionné (entre 85 et 100 % de VO2max) sans apports glucidiques mais éventuellement avec rinçage de bouche avec boisson glucidique (cela permet de maintenir plus longtemps l'intensité de la séance sans apport de glucides) (2).

Dîner pauvre en glucides et riche en protéines de façon à limiter le catabolisme musculaire. Par exemple, viande, poisson, œuf, laitage…

Petit déjeuner protéique sans glucides de façon à limiter le catabolisme musculaire à nouveau.

Deuxième séance : le lendemain matin, 60 min à 70 % VO2max à pied ou 100 min de vélo à 70 % de VO2 max (permet de consommer 60 % du glycogène musculaire chez des cyclistes entraînés). Sans apport de glucides durant l'effort de façon à consommer du glycogène. Attention cette séance ne sera pas aussi intense et prolongée que celles réalisées en état glycogénique "normal".

Une ration de récupération riche en glucides et en protéines.

Dernières mises en gardes

  • Durant ces séances, on évitera de consommer des glucides car l'apport de glucides durant l'effort favorise la consommation des glucides exogènes et préserve le glycogène musculaire.
  • Le régime principalement protéiné autour de cette séance peut faciliter l'acidose donc pensez à vous hydrater avec une eau riche en bicarbonates (eau pétillante type Saint Yorre, Badoit, Quezac…).
  • Attention à conserver des séances sans déplétion glycogénique et à conserver des séances avec apports en glucides à l'effort pour ne pas freiner la chaine oxydative des glucides dans l'optique des compétitions.
  • La charge de travail de ces séances étant moindre que celles réalisées dans des conditions habituelles, mieux vaut les placer en début de programme et en conserver quelques unes jusqu'à la compétition.
  • Méfiez-vous du surentraînement si vous utilisez souvent ce type de séances.

Références

(1) Bartlett JD, Close GL, Drust B, Morton JP. The emerging role of p53 in exercise metabolism. Sports Med. 2014 Mar;44(3):303-9.

(2) Bartlett JD, Hawley JA, Morton JP. Carbohydrate availability and exercise training adaptation: Too much of a good thing? Eur J Sport Sci. 2014 Jun 19:1-10.

(3) Burke LM. Fueling strategies to optimize performance: training high or training low? Scand J Med Sci Sports. 2010 Oct;20 Suppl 2:48-58.

(4) Hawley JA, Morton JP. Ramping up the signal: promoting endurance training adaptation in skeletal muscle by nutritional manipulation. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2014 Aug;41(8):608-13.

(5) Howarth KR, Phillips SM, MacDonald MJ, Richards D, Moreau NA, Gibala MJ. Effect of glycogen availability on human skeletal muscle protein turnover during exercise and recovery. J Appl Physiol (1985). 2010 Aug;109(2):431-8.

(6) Hulston CJ, Venables MC, Mann CH, Martin C, Philp A, Baar K, Jeukendrup AE. Training with low muscle glycogen enhances fat metabolism in well-trained cyclists. Med Sci Sports Exerc. 2010 Nov;42(11):2046-55.

(7) Morton JP, Croft L, Bartlett JD, Maclaren DP, Reilly T, Evans L, McArdle A, Drust B. Reduced carbohydrate availability does not modulate training-induced heat shock protein adaptations but does upregulate oxidative enzyme activity in human skeletal muscle. J Appl Physiol (1985). 2009 May;106(5):1513-21.

 (8) Taylor C, Bartlett JD, van de Graaf CS, Louhelainen J, Coyne V, Iqbal Z, Maclaren DP, Gregson W, Close GL, Morton JP. Protein ingestion does not impair exercise-induced AMPK signalling when in a glycogen-depleted state: implications for train-low compete-high. Eur J Appl Physiol. 2013 Jun;113(6):1457-68.

(9) Yeo WK, Paton CD, Garnham AP, Burke LM, Carey AL, Hawley JA. Skeletal muscle adaptation and performance responses to once a day versus twice every second day endurance training regimens. J Appl Physiol (1985). 2008 Nov;105(5):1462-70.

 

Auteur

Fabrice Kuhn

Médecin généraliste, médecin du sport

Fabrice Kuhn est médecin du sport, rédacteur pour "Jogging International", auteur et conférencier. Athlète accompli, il est finisher des championnats du monde Ironman à Hawaii et du marathon des sables. Enseignant au DU d’expertise en course à pied de l’université de Poitiers, il a également été le médecin de l’équipe de France d’haltérophilie.

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