Mon alimentation sur le marathon des sables 2023

Mon alimentation sur le marathon des sables 2023

Il m’a fallu du temps pour assimiler ce qui s’est passé sur mon marathon des sables. Une course très difficile (mais je le savais, peut-être pas à ce point). Une expérience de vie unique (je ne m’en rendais pas compte à ce point avant de la vivre). Des personnes formidables. Nul doute que je me souvienne à vie des mes sœurs et frères de tente (bise aux amis). Des paysages incroyables. Une chaleur écrasante. Une expérience unique. Le désert est incroyable.

 

Retour sur mon alimentation durant ce marathon des sables.

L'avantage avec cette course est qu’on sait que cela va être difficile mais on a le temps de se préparer. On a le temps de réfléchir bien en amont à ce que l'on va manger. On sera seul responsable de ce que l’on va manger. En raison de l’autonomie totale, il y a plusieurs contraintes contradictoires. Il faut prévoir suffisamment à manger pour courir environ 250 km en 7 jours mais chaque gramme d’alimentation est un défi en termes de poids et de volume. Tout doit rentrer dans le sac et chaque gramme s’accumule sur les épaules. Par ailleurs, il faut manger en dehors de l’effort et durant l'effort. Deux types d’alimentation différents. Il faut savoir trouver le juste équilibre. En outre, la récupération est encore plus importante que d'ordinaire. Il s’agit d'enchaîner correctement des efforts de plusieurs heures (7 jours, 6 étapes, 250 km).

 

Un vrai casse-tête !

Comment construire correctement son programme alimentaire pour 7 jours, 250 km de course à pied, dans le désert, dans un sac pas trop volumineux et le plus léger possible ?

 

Il y des coureurs ayant l'expérience de cette course qui connaissent les conditions qu’ils vont rencontrer et qui peuvent se baser sur leur expérience antérieure. Il y a des personnes qui viennent pour la première fois, comme moi. J’avais l'avantage de pouvoir me baser sur l'expérience de mes amis et sur mes connaissances scientifiques. C’est ce que j’ai fait.

 

A ma connaissance, il n’y a pas de réelle étude démontrant comment faire réellement sur ce genre de course. Les courses comme l’ironman ou le marathon ou le trail sont plus étudiées.

Je me suis donc basé sur d’autres études. Je suis parti du principe que pour quelqu’un qui s'entraîne quasi quotidiennement (longue durée d’effort et / ou haute intensité), il faut environ 6 g à 10 g de glucides par jour et par kg de poids de corps (2). Ce sont les conditions équivalentes que l’on rencontre lors du marathon des sables. Je suis également parti du principe qu’il me fallait entre 1.5 et 2 g de protéines par kg de poids de corps par jour. C’est plus que ce que l’on recommandait auparavant mais les avis ont changé. En outre, la course à pied, et en particulier le trail, est particulièrement traumatisante pour les muscles. Un apport protéique suffisant est donc nécessaire. Une autre contrainte (de sécurité) est que l’organisation vous oblige à transporter 2000 kcal de nourriture par jour. Je serais largement au dessus. De plus, comment conseiller 2000 kcal à un athlète de 50 kg et à un athlète de 80 kg (voire plus) ? J’ai l'habitude de ne pas compter en calories. 2000 calories, cela peut être 222 g de lipides ou 500 g de glucides ou 500 g de protéines. Les glucides, les lipides et encore plus les protéines n’ont rien à voir. Les protéines apportent de calories certes, mais elles sont avant tout du matériel de construction (muscles, enzymes, immunité…). Les lipides (graisses) et les glucides apportent de l’énergie mais n’ont pas le même impact sur le métabolisme. Les glucides servent aux efforts intenses et modérés. Les lipides servent aux efforts modérés ou peu intenses mais il leur faut quand même des glucides pour fournir leur énergie. De plus, les lipides et les glucides n'ont pas du tout le même impact sur l’insuline. Or, l’insuline guide le métabolisme. Il serait possible de prendre 222 g de lipides par jour pour remplir l’obligation de 2000 calories par jour et être au plus léger mais ça serait catastrophique nutritionnellement et d’une efficacité nulle pour les efforts. Les lipides seuls n’apportent pas de minéraux et seulement quelques vitamines. Lmk !i

Autre impératif fondamental, le goût de mes aliments. Il faut que le goût soit agréable. C’est important. Moins fondamental que les qualités nutritionnelles dans ces conditions mais le plaisir de manger doit rester intact lors de tout plan alimentaire.

Sur ces bases, j’ai construit mon plan alimentaire en mêlant repas et encas de course tout en pensant récupération et plaisir gustatif.

 

Une fois les quantités quotidiennes estimées, il faut organiser et répartir sur la journée sa ration quotidienne. Répartir entre repas et encas. Pour les repas, le choix est simple. C’est lyophilisés car c’est le seul moyen d’embarquer suffisamment de nourriture en peu de place et peu de poids.
Le petit déjeuner doit apporter des glucides, des lipides et des protéines. Les gens oublient souvent les protéines au petit déjeuner. Or, elles sont importantes. La ration protéique doit être répartie en au moins trois prises quotidiennes voire même quatre prises quotidiennes afin d'optimiser la construction musculaire. Les lyophilisés pour le petit déjeuner que j’ai vu ne m'apportaient pas une combinaison optimale de glucides et de protéines. J'ai donc fait des mix en ajoutant de la protéine en poudre (whey, protéine complète et légère). Pour ces repas, j’ai mêlé whey et porridge. Cela passait sans problème et était correct au niveau satiété même si c'était réellement différent de ce que je prends habituellement au petit déjeuner (œuf, pain complet, noisettes, amandes, noix et fruits). Les œufs brouillés en lyophilisés étaient trop gras et trop pauvres en glucides. Je me préparais un thé à chaque petit déjeuner (riche en antioxydant et agréable à boire).

La plupart des étapes durant environ 5h à mon niveau, le repas du midi sert de ration de récupération et doit être facile à reconstituer à froid pour éviter toute perte de temps et entamer la récupération au plus vite afin d'être prêt le lendemain. Du taboulé pour les glucides et de la viande séchée pour les protéines. Un peu sec, pas super motivant à avaler d’un coup. Mais le principal est d’en avaler suffisamment pour reconstituer les stocks de glycogène musculaire pour le lendemain. C’est une étape importante dans l'enchaînement des étapes. L'appétit n'était pas monstrueux le midi en raison de l’effort, de la chaleur et du manque de fraîcheur des aliments (par 40°C une bonne salade fraîche est toujours plus agréable). Mais je me suis appliqué à bien manger, quitte à prendre le temps. Le repas du soir est plus convivial. Tout le monde est présent à la tente. Le feu s’allume en commun. La solidarité est bien là. Même si j'ai accès au feu, j'ai choisi de prendre des repas reconstituables à froid par souci de facilité. Souvent du riz épicé et du poulet. Cela passe bien. J’ajoute souvent en dessert pour plusieurs raisons : le plaisir, un peu plus de glucides, des fruits rouges riches en antioxydants pour faciliter la récupération et un peu de fructose des fruits pour les stocks de glycogène hépatique (1).

 

Le complément se fait lors des étapes. Si je prends des gels et des pâtes de fruits lors des courses rapides, ici inutile. J'aurais le temps de mâcher et les gels sont réputés écoeurants par une telle chaleur. Je privilégie, donc, les pâtes de fruits (faciles à mâcher) et les barres. Je ne pourrais pas remplir les objectifs conseillés sur une course rapide (ironman, marathon, trail..). Je ne pourrais pas avaler 50 à 80 g de glucides par heure. D’une part, ce serait trop lourd à transporter. D'autre part, l’effort est plus modéré sur le marathon des sables, mon organisme fonctionne surtout aux lipides. Mais il faut avaler quand même des glucides lors de chaque étape car l’organisme ne fonctionne qu’en hybride. Hybride plus ou moins riche en glucides et en lipides mais jamais l’un ou l’autre isolément. Même à faible intensité il utilise des glucides. Je prévois donc une barre par 10 km et je m’y tiendrais.

L’épate longue est plus difficile à gérer. 90 km ! Je choisi le même plan alimentaire et finalement je mangerais mon taboulé en le reconstituant au 30ème km et en le mangeant en 4 h ! Quelques cuillères à chaque check point. Idem pour la viande séchée.

 

Côté boisson, la chaleur risque de rendre les boissons de l’effort imbuvables. Je choisis donc de partir avec un sachet de boisson citron en début de chaque étape au moment où la boisson n’est pas trop chaude. Je prends une boisson de l’effort saveur menthe pour la deuxième moitié de l'étape. Le menthol stimule les récepteurs au froid que l’on a dans la bouche et donne une sensation de fraîcheur profitable aux performances. Lors du marathon des sables, versé dans l’eau chaude j'aurai l'impression de boire du thé à la menthe et globalement ça passe bien. Sur l’étape longue je prévois 4 sachets (1 saveur citron et 3 saveur menthe).

Nous sommes fournis en eau par l’organisation à chaque check point. En raison de la chaleur et de la sudation intense, l’organisation nous fournit des pastilles de sel et recommande d’en prendre deux par bouteille d’eau.  Je ne recommande pas ces pastilles de sel sur un marathon ou un ironman car elles peuvent favoriser les troubles digestifs. Mais lors du marathon des sables, je suis scrupuleusement les recommandations de l’organisation. Il est indispensable de compenser les pertes de sodium dans la transpiration afin d’éviter la déshydratation et l’hyponatrémie d’effort. Je n’ai eu aucun inconfort avec ces pastilles. Lors de l'étape longue, je pense avoir bu plus de 20 l d’eau dans la journée !

 

Finalement, j’ai mangé tout ce que j'avais sauf une barre. Je n’avais pas toujours faim à l'arrivée des étapes mais je me suis forcé car je savais que cela était nécessaire pour bien récupérer. Plus on mange tôt les glucides après l’effort, plus vite les stocks de glycogène sont reconstitués pour le lendemain (c’est la fenêtre métabolique). Plus on mange tôt les protéines après l’effort, plus vite les muscles sont réparés pour le lendemain (c’est la fenêtre anabolique). Les lyophilisés que j'ai choisis étaient bons même reconstitués à froid.

Mon sac était plus lourd que celui de partenaires de course mais je suis un gros mangeur. Je pourrai faire un peu plus léger mais pas trop car je risquerais d’avoir faim et de favoriser les dégâts musculaires. Quand l'organisme n’est plus suffisamment fourni en énergie (glucides surtout), il pioche dans les protéines pour trouver son énergie et là on risque de dégrader les muscles. Ce n’est pas une bonne idée.

 

Ma solution n'est peut-être pas la meilleure, peut être pas celle qui convient à tout le monde mais elle peut vous donner une idée. C'est ma vision scientifique. D’autres auront une autre vision, plus empirique.

 

Dites vous une chose, à l'arrivée du marathon des sables je rêvais d'une bonne salade composée et fraîche !

 

 

Bibliographie

(1) Décombaz J, Jentjens R, Ith Met al.(2011) Fructose and galactose enhance postexercise human liver glycogen synthesis. Med Sci Sports Exerc43, 1964-1971

(2) Burke LM, Hawley JA, Wong SH, Jeukendrup AE. Carbohydrates for training and competition. J Sports Sci. 2011;29 Suppl 1:S17-27.

 

 

 

Auteur

Fabrice Kuhn

Médecin généraliste, médecin du sport

Fabrice Kuhn est médecin du sport, rédacteur pour "Jogging International", auteur et conférencier. Athlète accompli, il est finisher des championnats du monde Ironman à Hawaii et du marathon des sables. Enseignant au DU d’expertise en course à pied de l’université de Poitiers, il a également été le médecin de l’équipe de France d’haltérophilie.

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