La saga de la créatine : histoire d'un mensonge d'Etat

La saga de la créatine : histoire d'un mensonge d'Etat

Un sujet sur la créatine dans le JT de TF1 hier soir 27 octobre : pour une fois, un travail journalistique intelligent et bien documenté qui fait passer ce message de bon sens : non, la créatine n’est pas un produit dopant. Oui, c'est pour l'athlète une aide à la récupération. Et ceci qui montre que les mentalités ont évolué : les aînés, Zineddine Zidane et Jeannie Longo ont été traînés dans la boue il y a dix ans parce qu'ils en prenaient, mais hier soir, devant la caméra, un Florent Manaudou décontracté dit qu’il en consomme. Comme la plupart des athlètes de haut niveau. Pour arriver à cette banalisation d’un produit aussi anodin que les boissons énergétiques, il aura fallu pas loin de 15 ans. Retour sur une saga à laquelle l'avocate Isabelle Robard et moi-même avons participé. Elle est racontée dans Santé mensonges et propagande et commence par un mensonge d’Etat.

Dérapages médiatiques

Le 23 janvier 2001, la presse française et internationale relaie une annonce spectaculaire : la créatine, une substance naturelle présente dans la viande et utilisée par les athlètes pour améliorer leurs performances n'a pas d'effets "scientifiquement prouvés", et surtout elle est potentiellement cancérogène. La créatine est donc non seulement inutile, mais dangereuse.

La nouvelle n’émane pas du premier venu : elle a pour source un rapport de la très officielle Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa, aujourd’hui ANSES), un organisme récemment mis en place par l’Etat pour garantir que l’alimentation des Français est sans danger. C’est le directeur de l’Afssa lui-même, le sémillant Martin Hirsch, aujourd'hui directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui a pris soin d’informer les médias du caractère inefficace et dangereux de la créatine.

Qu’est-ce que la créatine ? La créatine est une substance naturelle azotée, synthétisée par le foie, le pancréas, les reins, mais qu’on se procure aussi dans l’alimentation à raison de 1 à 2 g/j. La créatine est utilisée par le corps pour maintenir des niveaux élevés d’ATP dans la cellule, la forme sous laquelle la cellule stocke l’énergie provenant de l’alimentation. Le corps humain contient en moyenne 100 grammes de créatine qui sont stockés principalement dans les muscles squelettiques sous forme de créatine phosphate. Les suppléments de créatine ont, dans certaines études permis d’augmenter la masse musculaire, surtout chez l’homme. Ils favorisent le stockage du glycogène. Par ailleurs, ils sont utiles dans certaines myopathies et troubles neuromusculaires et chez les patients cardiaques. La créatine n'est pas et n'a jamais été inscrite sur la liste des substances dopantes.

La créatine est alors l’objet d’un vif débat en France. Plusieurs athlètes de haut niveau, telle la tenniswoman Mary Pierce reconnaissent qu’elles en consomment pour obtenir des performances. La créatine permet en effet de gagner naturellement en force, souffle, récupération. Une alternative naturelle au dopage ? Non, car les milieux gouvernementaux français souhaitent justement que ce complément alimentaire soit considéré comme un produit « dopant », contre l’avis du Comité International Olympique et celui de l’ensemble des pays européens. C’est la position défendue par la ministre des sports de l’époque, Marie-George Buffet - un avis qui aura son importance dans la genèse du rapport de l’Afssa, comme Isabelle Robard et moi l'avons expliqué dans notre livre.

Parce que l’opinion est très sensible aux affaires de dopage réel ou supposé, l’idée qu’un stimulant de la performance consommé dans le monde entier par une majorité d’athlètes, soit cancérogène fait aussitôt la « une » de la presse internationale. Du Monde à Europe 1, le communiqué de l’Afssa est repris sans un bémol, et surtout sans éviter les dérapages. Aux Etats-Unis, l’agence Reuters annonce ainsi « qu’une étude française a conclu que la créatine est cancérogène », alors qu’il ne s’agit que d’un avis fondé sur une analyse de la littérature scientifique.

Stupeur chez les experts

Un avis sidérant pour moi qui, à Sciences et Avenir, suis alors en charge des questions de santé et nutrition, mais aussi auteur et co-auteur de plusieurs enquêtes sur le dopage (dont celle qui à la veille du tour de France 1997 a révélé pour la première fois l'usage d'EPO par les coureurs).

Quelques mois seulement avant l’avis de l’Afssa, le Pr Jacques Poortmans, professeur de biochimie à l'université libre de Belgique (Bruxelles) a publié un article sur les risques éventuels liés à la consommation de créatine, un article que j'avais lu avec intérêt. Poortmans a de sérieuses références : son équipe a mené plusieurs études au cours desquelles des centaines de volontaires ont ingéré cette substance. Que dit Poortmans dans son article ? Que les effets secondaires prêtés à l’usage de créatine relèvent largement du fantasme. Bref, que cette substance, prise par voie orale, est globalement sûre. Le risque de cancer ? Pas une ligne ne lui est consacrée. Si la créatine risque de provoquer des cancers comme l’affirme l’Afssa, comment l’un de ses meilleurs spécialistes aurait-il pu l’ignorer ?

Le 25 janvier 2001 vers 16 h 00, je joins donc Jacques Poortmans par téléphone. Le chercheur belge n’est pas au courant de l’avis de l’Afssa et se dit "époustouflé" par ses conclusions. "Je n'ai jamais vu, confirme-t-il, ni dans nos travaux, ni dans la littérature scientifique la moindre étude pouvant suggérer un lien entre créatine et cancer."

A ce moment, la démonstration par les experts de l’Afssa du caractère cancérogène de la créatine n’est pas connue dans ses détails. Il faudra attendre le soir du 25 janvier pour en prendre connaissance : la "preuve" avancée par l’agence française pour prétendre que la créatine est cancérogène repose en grande partie sur l’article écrit par le Dr Markus Wyss, un chercheur de Bâle (Suisse) auteur d’un article intitulé « Métabolisme de la créatine et de la créatinine. » Si l’on en croit les experts français, qui le citent à 11 reprises, cet article suggère que la créatine, lorsqu’elle est ingérée, peut donner naissance à des composés potentiellement cancérogènes, que l’on appelle amines hétérocycliques aromatiques (AHA).

Agent anti-cancer

Je joins Markus Wyss à 18 h 00 le 25 janvier à son bureau. Il se dit « énormément » étonné. « Je présume, ajoute-t-il, que [les experts de l’Afssa] n’ont pas lu correctement mon texte. Les produits potentiellement carcinogènes de la créatine pour lesquels des preuves concluantes manquent encore, pourraient se former pendant la cuisson de la viande contenant de la créatine, et non l’ingestion de créatine. » Le commentaire de Markus Wyss ouvre une incroyable perspective : celle d’une monumentale bourde. Ou pis : d’une entreprise de désinformation décidée en haut lieu.

Il se trouve que la France compte un spécialiste de ces fameux AHA, en la personne de Maurice Rabache (CNAM, Paris). Joint par téléphone, il apprend par moi l’existence du rapport, alors qu’il est lui-même… expert auprès de l’Afssa ! L’agence n’a même pas jugé utile de prendre son avis éclairé. Le voici : « Les AHA, confirme-t-il ce jour-là, apparaissent lorsqu’on chauffe de la viande. Mais leur formation dans l’organisme n’est absolument pas démontrée. Cette probabilité à partir des aliments est faible, et encore plus faible avec de la créatine pure. Même s’il en allait ainsi, il s’agirait de doses infinitésimales ne posant guère de risque. »

Non seulement, donc, la créatine ne serait pas cancérogène, mais, selon Markus Wyss, « il s’agit même d’un agent anti-cancer potentiel » ! La méprise de l’Afssa serait-elle totale ?

"Ni équilibré ni scientifique"

Un homme peut trancher. Il s’appelle Theo Wallimann, il est professeur à l’Institut de biologie cellulaire de Zürich (Suisse) et considéré par ses pairs comme le meilleur connaisseur mondial de la créatine, une substance dont il étudie le métabolisme depuis plus de dix ans. Justement, il vient de rédiger un article sur créatine et cancer. Et voici ce qu’il me déclare à son tour : « En l’état actuel des connaissances, soit la créatine n’a pas d’effet sur le cancer, soit elle freine la croissance des tumeurs. » 

Entre-temps, le rapport de l’Afssa circule parmi les spécialistes mondiaux de la créatine et se taille un franc succès. Les chercheurs reprochent aux rédacteurs de français d’avoir sélectionné les rares travaux allant dans le sens de la toxicité de la créatine (une étude isolée montre in vitro la production d’AHA à 37°C), et négligé la masse d’études qui prouvent le contraire. Markus Wyss : « On trouve toujours une étude négative, ou des scientifiques qui publient des données erronées. Les gens de l’Afssa ont mal interprété les résultats de la recherche ou les ont réinterprétés en les exagérant. Ce n’est ni équilibré, ni scientifique. Le résultat auquel ils parviennent est faux. » Theo Wallimann (lire sa lettre en fin d'article) : « Le rapport de l’Afssa est non professionnel et plutôt embarrassant pour une agence officielle. Les soi-disant experts qui l’ont rédigé sont des bureaucrates, certainement pas des chercheurs. »

Tour à tour, les plus grands spécialistes écrivent à l’auteur du rapport, le Dr Gilbert Pérès et au directeur de l’Afssa pour dire leur mécontentement. Le Dr Paul Greenhaff (Queen’s Medical Center, Nottingham, Royaume-Uni) leur adresse une lettre qui se conclut ainsi : « Je vous conseille de retirer votre rapport, et de vous efforcer de présenter un avis mieux informé après avoir pris les conseils des experts de ce domaine. »

MARTIN HIRSCH demande "DES POURSUITES PENALES" !

Mon enquête sur la créatine, complétée par  celle de l’avocate Isabelle Robard sur la genèse de l’affaire et ses répercussions juridiques paraît dans le numéro de mars 2001 de Sciences et Avenir sous le titre : Créatine : Incompétence ou désinformation d'Etat ? 

C'est la première fois qu'un media s'en prend à la qualité de l'expertise de l'agence (ce ne sera pas la dernière). Son directeur Martin Hirsch entre dans une colère noire. N’a-t-il pas lui-même annoncé un mois plus tôt à la presse que la créatine est cancérogène ? Le voilà lui et son agence contesté par des dizaines de chercheurs et par un journal scientifique qui met en doute l’objectivité et la compétence de l’agence dont il a la charge. Il lui faut répondre, mais comment ?

Très curieusement, cette réponse empruntera les colonnes du journal Le Monde, ce qui en dit long sur les relations qu’entretient une certaine presse avec le pouvoir. Dans son édition du 25 mars, sous le titre Haro sur la créatine, ce quotidien consacre une page entière au dossier. Il rappelle que « le mensuel Sciences et Avenir [a qualifié] l’Afssa d’agence étatique et [l’a accusée] d’«incompétence » et de « désinformation ». Mais impossible au lecteur du Monde d’en savoir plus sur le fond du dossier. Le journal n’en dit pas un mot, pas plus qu’il ne mentionne la mobilisation des chercheurs, ni leurs arguments scientifiques. A la place, les lecteurs de ce grand quotidien n’ont droit qu’aux propos de Martin Hirsch et Gilbert Pérès. Des propos qui, on va le voir, volent haut.

Si le rapport dont il est l’auteur est attaqué par des chercheurs, explique très sérieusement le Dr Pérès dans les colonnes du Monde, ce n’est pas parce qu’il aurait mal conduit son travail d’évaluation, mais parce que les « scientifiques [qui me critiquent] cherchent à promouvoir » la créatine.

Même son de cloche du côté du directeur de l’Afssa. Si Sciences et Avenir s’en prend ainsi à l’Afssa, indique sans rire Martin Hirsch, ce n’est pas parce que l’agence a publié un rapport bâclé mais parce que ce journal trouve intérêt à la vente de créatine ! Et de pointer, pour preuve, une publicité parue dans Sciences et Avenir pour une lettre d’information, laquelle lettre serait elle-même liée à une société ayant un site Internet, lequel proposerait enfin parmi des compléments alimentaires une boîte de… créatine !

Des arguments très crédibles. Chacun sait que la presse et la recherche scientifiques sont sous la coupe des nouveaux barons de la créatine, qui de leur fief de Medellin ou d’ailleurs, tirent les ficelles de ce complot planétaire.

Plus grotesque encore : Martin Hirsch va jusqu’à réclamer dans Le Monde « des poursuites pénales » à l’encontre de Sciences et Avenir. Et pourquoi pas le bagne ?

quand il y a du flou...

Mais l’article du Monde recèle quand même quelques perles. C’est ainsi que le Dr Pérès reconnaît au détour d’une ligne que « pour ce qui est des effets potentiellement cancérogènes [de la créatine] nous sommes dans le plus grand flou. » Le grand rétropédalage est amorcé.

Aujourd’hui, le flou n’entoure que les intentions réelles poursuivies par l’Afssa avec son rapport. Sur le fond, aucun chercheur digne de ce nom ne défend l’hypothèse que la créatine serait cancérogène. Aucune étude n'est venue soutenir la thèse de ce rapport. Dans cette affaire, le seul membre de l’Afssa lucide aura été le Pr Ambroise Martin, alors directeur de l'évaluation des risques nutritionnels. Il reconnaissait, quelques jours avant la publication de ce fameux rapport dont il était destinataire, que « la créatine n’est sûrement pas dangereuse. »

Dommage qu’il n’en ait pas parlé à son directeur, Martin Hirsch.

ET DEPUIS ?

A la suite de ce bras de fer, l'Afssa-ANSES a enterré en douce son avis sur la créatine. La Commission européenne a estimé les affirmations de l'Afssa sur la créatine ne reposaient sur rien et qu'il n'y a aucune preuve liant créatine et cancer. La France a été contrainte par les tribunaux européens de ne pas s'attaquer aux entreprises faisant commerce de créatine. Mais cette substance a continué d'être accompagnée des plus folles rumeurs : on la disait interdite (ce qui était faux). Les athlètes qui la consommaient étaient stigmatisés par la presse, comme le montre l'aventure vécue en 2004 par Jeannie LongoEn 2010 encore, deux anciens sportifs de haut niveau dont un ex-ministre, assuraient à l'antenne de France Inter, sans être démentis par les journalistes, que la créatine était un produit dopant ! 

En mars 2003, j'avais signé un éditorial sur mon blog personnel, sous ce titre alors volontairement provocateur "Les sportifs français devraient prendre de la créatine" (une copie, ici sur le site LaNutrition.fr). Le reportage diffusé par TF1 hier montre que c'est désormais chose faite.

Quelques déclarations DE Grands ExpERTS, qui valent leur pesant de créatine

  • Martin Hirsch (ex-directeur de l'Afssa) : "La créatine est potentiellement cancérogène."
  • Jo Maso (alors entraîneur de l'équipe de France de rugby à XV) : "La créatine est interdite en France et ne doit en aucun cas être prise par les joueurs."
  • Dr Thierry Hermerel (alors médecin de l'équipe de France de rugby à XV) : "La créatine devrait être inscrite sur la liste des produits dopants."
  • Le Parisien (11 août 2004) : "Quand Jeannie Longo propose des produits interdits. Au mieux, il s’agit d’une simple négligence de sa part. Au pire, Jeannie Longo s’expose à des poursuites pénales et à une condamnation à deux ans de prison et 37 500 euros d’amende selon l’article 213-1 et 3 du Code de la consommation. La championne cycliste continue, en effet, de proposer de la créatine au rayon boutique de son site Internet personnel. Créatine complexe, créatine HMB, malto-créatine, ces produits bénéficient ainsi d’une promotion illégale de la star du cyclisme féminin, présente aux Jeux d’Athènes."
  • Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, août 2004) : "En France, la créatine est considérée comme un produit dangereux. Elle est totalement interdite. On va suivre le dossier Longo de près."
  • Patrick Proisy (ancien champion de tennis) : "La créatine est un dopant (...). Elle est autorisée partout dans le monde mais interdite en France."
  • Jean-François Lamour (ancien champion d'escrime, ancien ministre des Sports) : "La créatine figure partout sur la liste des substances illicites."

Extraits du courrier cinglant du Pr Theo Wallimann à Martin Hirsch, directeur de l'Afssa et au Dr Gilbert Pérès, auteur du rapport sur la créatine
"Le rapport sur la créatine que vous publiez sur le site de l’AFSSA est plutôt embarrassant pour une agence française officielle et montre deux choses : que ce rapport a été rédigé par des personnes qui n’ont jamais travaillé dans le domaine des créatine kinases, et que les Français ont raté les derniers développements en matière de supplémentation en créatine. (...) Les soi-disant experts qui ont écrit ce « rapport » sont des scientifiques en chambre ou des bureaucrates, mais certainement pas des scientifiques qui travaillent dans ce domaine. (...) Pourquoi la France, qui est membre de l’Union européenne veut-elle réinventer la question des risques et des bénéfices de la créatine après les Etats-Unis ou même l’Allemagne ou la Suisse, où la créatine est officiellement autorisée et librement disponible sur le marché comme supplément nutritionnel au dosage de 2 à 4 g/j. Votre agence française sait-elle que dans une déclaration officielle, la Commission européenne est parvenue à une conclusion totalement différente sur la créatine, à savoir que la créatine est l’un des seuls, si ce n’est le seul supplément nutritionnel à avoir à la fois clairement démontré des effets positifs multiples sur la performance musculaire, et à être sans danger ? En plus, et ce n’est pas mentionné dans votre rapport, la créatine montre des propriétés neuroprotectrices claires, qui font de cette substance physiologique une substance-clé pour traiter des patients atteints de maladies neuromusculaires et neurodégénératives ! Pouvez-vous honnêtement me dire comment un composé peut être très toxique alors que notre corps en contient plus de 100 grammes, et que l’humanité depuis les Néanderthaliens (qui mangeaient parfois de grandes quantités de viandes, si bien que leur apport quotidien en créatine après une chasse heureuse est estimé à 8-12 g) a consommé de la créatine à la dose de 2 à 5 grammes par jour en moyenne depuis des milliers d’années ? La France peut interdire les suppléments de créatine, quelle importance ? Les athlètes avaleront un kilo de harengs frais (…) et se procureront ainsi facilement et naturellement 8 à 12 g de créatine. Cela, ni vous ni vos agences ne peuvent l’interdire. Si l’on suit votre raisonnement, la France devrait aussi interdire la pratique qui consiste à se charger de glucides comme le font les cyclistes lorsqu’ils rechargent leur réserve de glycogène en avalant des assiettes de spaghettis. La supplémentation en créatine est tout à fait comparable à la supplémentation en glucides. Les deux réserves peuvent être remplies jusqu’à une certaine limite, et c’est tout. Qu’y a-t-il de mal à ça ? Si vous pensez que la créatine n’a aucun effet bénéfique chez le sportif, dites-moi alors pourquoi 90% des équipes et probablement 80% des athlètes prennent de la créatine et pourquoi ils le font depuis plus de 5 ans ? Qui voudrait gaspiller de l’argent pour quelque chose d’inutile ? (...) [Votre rapport] constitue un abus total d’information scientifique et permet d’affirmer à nouveau que ce rapport n’a pas été rédigé par des scientifiques informés, mais par des bureaucrates qui raisonnent comme des comptables, qui ajoutent bout à bout des morceaux d’information sans évaluer leur poids scientifique relatif. C’est ainsi que certaines des affirmations de votre rapport sont fausses, absolument pas valides ou gravement distordues et donc inutiles. Certaines des accusations les plus graves portées contre la créatine, en particulier sur le cancer, ne sont pas rapportées de manière objective et sont donc infondées, ce qui est plutôt embarrassant pour vous. Les réactions avec la créatine et surtout avec son produit de dégradation, la créatinine, qui peuvent conduire à des composés potentiellement carcinogènes se déroulent de préférence à haute température et interviennent naturellement lorsqu’on fait rôtir, griller la viande ou qu’on la cuit au barbecue, mais ceci n’a rien à voir avec la supplémentation en créatine par voie orale. Que faut-il retenir de cela ? Ne cuisinez pas vos suppléments de créatine au barbecue ! (...)  La population française continue de fumer des tonnes de « Gauloises bleues sans filtre » et des milliers de personnes meurent misérablement de cancer du poumon (…) mais voici que déboule notre « Creatine French Team », et qu’il tente de monter en mayonnaise la prétendue cancérogénicité de la créatine, alors que des millions de personnes en consomment, que des dizaines de tonnes sont consommées sans un seul cas documenté de cancer. Quelle attitude absurde ! Ne serait-il pas sage de fixer des priorités dans les domaines où des risques sont aussi clairs que l’eau de roche – et enfin interdire de fumer ! Je vous encourage vivement à lire plus soigneusement la littérature récente et à consulter les experts mondiaux dans ce domaine avant de provoquer des dégâts aussi lamentables, qui affectent des études cliniques en cours, dans la mesure où des patients, croyant d’après votre rapport biaisé que la créatine cause le cancer, abandonnent ces études. Ceci fait plus de mal que de bien à la science, surtout quand le rapport émane d’une agence officielle du gouvernement français. En réalité, dans toutes les études récentes conduites avec différents types de cellules cancéreuses, la créatine a toujours démontré un effet anti-cancer modéré, mais jamais un effet promoteur. Veuillez lire la littérature scientifique s’il vous plaît ! (...) Vous causez beaucoup de tort à la recherche sur la créatine, en particulier aux milliers de patients qui, souffrant de maladies neuromusculaires et de maladies neurodégénératives, suivent un traitement à base de créatine, et en tirent profit. Vous en serez tenus responsables, j’en suis sûr."

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Auteur

Thierry Souccar

Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr

Thierry Souccar est journaliste scientifique, éditeur, auteur de nombreux best-sellers dontLait, mensonges et propagande. En charge des questions de santé à Sciences et Avenir pendant 15 ans, il a créé LaNutrition.fr, premier site d’information francophone indépendant sur l’alimentation et la santé. Il est membre de l'American College of Nutrition depuis 2000.

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