Les personnes en surpoids ne sont pas des minces qui mangent trop

Les personnes en surpoids ne sont pas des minces qui mangent trop
À l’automne 2016, j’ai été interviewé pour un documentaire de la BBC sur les régimes à la mode. L’animateur et interviewer n’était pas un médecin, mais un chercheur très respecté de l’université de Cambridge spécialisé dans la génétique de l’obésité. 
Je pensais que les producteurs de la BBC s’intéressaient à mon point de vue, car j’étais à l’époque (et le reste peut-être encore) le seul journaliste, historien ou scientifique à proposer une histoire critique approfondie de la recherche sur l’obésité, et plus particulièrement sur ses liens avec l’alimentation, les campagnes de sensibilisation en matière de santé publique et les recommandations nutritionnelles.
 
Mon livre Good Calories, Bad Calories publié en 2007 (non traduit en français) a été le premier à s’intéresser à ces liens, à l’évolution de la réflexion des cliniciens et des scientifiques sur les causes de l’obésité et des maladies chroniques qui lui sont associées, ainsi qu’aux implications de leur traitement et de leur prévention à l’aide d’un régime alimentaire. 
Ma qualité de journaliste m’offrait un avantage pour écrire cet ouvrage que n’avaient clairement pas les chercheurs : je pouvais interviewer les acteurs qui ont transformé notre façon de nous alimenter et façonné nos convictions sur la nature d’une alimentation saine (pour le meilleur ou pour le pire). Outre la lecture de la littérature scientifique disponible sur le sujet, j’ai interviewé des centaines de cliniciens, de chercheurs et de responsables de la santé publique, dont nombre d’octogénaires, dont les travaux ou le rôle en la matière remontaient à un demi-siècle.
Je me suis livré à ces recherches de manière obsessionnelle, car je voulais savoir quelles étaient les connaissances fiables dont nous disposions sur la nature d’une alimentation saine. Grâce à ce travail de fond, les chercheurs et les médecins qui jugeaient mon interprétation des éléments scientifiques susceptible d’être en grande partie correcte en sont venus à me considérer comme une véritable autorité, alors que pour les autres j’étais un provocateur, voire parfois un charlatan. 
 
Les questions auxquelles ce généticien de l’université de Cambridge voulait que je réponde pour la BBC tournaient principalement autour de ce qui incitait les gens à faire des régimes à la mode. Pourquoi les médecins et les livres de régime qui préconisent de nouvelles manières de s’alimenter sont-ils si populaires ? Pourquoi sommes-nous si avides de ces lectures ? Pendant toutes les années que j’ai consacrées à mes recherches, je n’avais jamais songé à poser cette question, et encore moins à y répondre. La réponse me semblait soudain évidente : et pourquoi pas ?
 
Si au lieu de perdre du poids nous avons tendance à continuer à grossir, pourquoi ne nous tournerions-nous pas vers des solutions alternatives ? Ne serait-il pas insensé de ne pas le faire ? Si notre alimentation est relativement saine et que nous nous efforçons déjà de limiter la taille de nos portions, si nous faisons de l’exercice, allant peut-être même jusqu’à compter chaque jour nos pas à l’aide d’un podomètre, et que notre embonpoint persiste ou ne diminue pas autant que nous le souhaiterions, les livres de régime populaires exercent sur nous une véritable attraction, car l’approche traditionnelle ne nous est d’aucun secours. Pourquoi ne pas essayer des méthodes alternatives? 
 
Tout porte à croire que ce raisonnement échappe aux personnes minces et en bonne santé. Les parents minces ayant un enfant obèse et devant lutter pour comprendre ce que traverse ce dernier sont peut-être les seules exceptions notables. La perspective n’est pas tout, mais elle joue incontestablement un rôle majeur sur notre compréhension de l’univers qui nous entoure.
Et la perspective des gens minces – ce qui leur est connu – a été le principal facteur qui a conduit les autorités compétentes en matière de nutrition à déterminer la manière dont l’ensemble de la population doit s’alimenter. Il est aisé, ou relativement aisé pour les minces de contrôler leur poids. Ils en concluent qu’il en va de même pour tous.
Ou plus exactement, ils pensent que nous le pourrions si nous étions suffisamment motivés et si nous définissions correctement nos priorités. Ce type de raisonnement mène rapidement tout droit à la beaucoup moins subtile humiliation des gros, un puissant courant sous-jacent qui a dominé la réflexion académique et médicale sur l’obésité tout au long du siècle dernier.
 
On retrouve ce même problème de perspective chez les médecins. Ceux qui sont minces, surtout lorsque leurs patients le sont également, n’ont aucune raison de remettre en cause la vision traditionnelle des autorités. Si ce qu’ils préconisent semble fonctionner pour eux-mêmes et pour leurs patients sans surpoids, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour tous et partout ? Cette supposition, somme toute naturelle, n’en est pas moins erronée.
C’est pourquoi ce sont presque toujours des personnes minces, ou du moins sans embonpoint, qui affirment que pour atteindre ou conserver un poids normal, il suffit de ne pas se « suralimenter » ou de ne « pas trop » manger ou manger avec « modération ».
 
Cette manière de penser qui consiste à blâmer les personnes en surpoids, guetter qui succombe à la tentation du donut, porter des jugements moraux et condamner les gros, a toujours eu pour fondement la certitude que l’obésité est provoquée par la suralimentation.
 
Qu’ils le sachent ou non, chaque médecin, diététicien, préparateur physique, gentil voisin, frère ou sœur, toutes les figures d’autorité qui nous ont un jour conseillé de manger moins et de faire plus d’exercice pour perdre du poids, de compter nos calories afin d’en consommer moins que nous n’en dépensons, sont inféodées à l’idée que les personnes minces et celles vouées à devenir obèses sont identiques sur le plan physiologique et que seul leur comportement les différencie.
 
Ce système de croyances a dominé nos réflexions sur l’obésité depuis les années 1950 et il est grand temps d’en changer. La vision du professeur Astwood, selon laquelle les personnes qui grossissent facilement sont fondamentalement différentes de celles qui ne grossissent pas, tant au niveau physiologique que métabolique, est le contre-argument que je défends personnellement. Il sous-entend que ceux d’entre nous qui grossissent facilement peuvent grossir en ingérant la même nourriture, en même quantité, que les personnes minces qui, elles, restent minces. Il ne suffit pas de nous conseiller de manger comme les personnes minces et en bonne santé pour résoudre le problème, car nous grossissons lorsque nous le faisons. De plus, nous grossissons et nous avons faim lorsque nous adoptons leur régime. Nous devons manger différemment. La véritable question est de savoir comment.
 
  • Pour savoir comment manger différemment quand on a tendance à l'embonpoint, lire Révolution kéto

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